Enriqueta se transforme en Enrique Fabez
Enriqueta n’est pas la première femme à s’habiller en homme pour échapper aux discriminations de l’époque coloniale à Cuba. Elle n’est pas non plus la première à exercer l'une des professions réservées exclusivement aux hommes, à savoir chirurgien diplômé des écoles françaises. Elle fut cependant la protagoniste de l’un des plus grands scandales de l’époque coloniale dans l’île. Sa vie changea du tout au tout lorsqu’elle devint « monsieur Enriquito ». Née en Suisse et élevée en France, Enriqueta est d'abord orpheline, épouse, mère durant quelques jours, et même veuve de guerre, avant de devenir monsieur Enrique, médecin de la ville de Baracoa, dans l’est du pays, Enriqueta a été elle et lui, mais elle a été avant tout la première à défendre la position des femmes et leurs droits à l'époque difficile et violente que traversaient les colonies caribéennes au XIXe siècle. Elle porte des vêtements masculins pour la première fois à l'âge de 18 ans, alors qu’elle fait ses études de chirurgie, un privilège réservé à l'époque à certains hommes. Plusieurs années après, Enriqueta arrive pour la première fois à Cuba, précisément à Santiago, où elle continue d’assumer, jusqu’à ses derniers jours dans l’île, son rôle habituel de docteur Enrique. Il n’est nullement facile pour elle d’être Monsieur Enrique dans l’île des Caraïbes, accoutumée à des expressions viriles de masculinité. Au début du XIXe siècle, le pays se trouve en pleine formation de sa nationalité, avec un esclavage en décadence et une société patriarcale suffocante. Et même lorsqu’elle choisit de vivre dans une ville aussi écartée que Baracoa, à la pointe la plus orientale du pays, elle subit des pressions sociales en tout genre par le seul fait d’être un homme efféminé….. et d’être un médecin étranger. Dans ce contexte, il lui est interdit de se consacrer à la médecine sans passer au préalable des examens rigoureux. La légitimité de son diplôme délivré en France est contestée. On l’empêche d’exercer en tant que haute autorité de la médecine à Baracoa, titre qui lui revenait de par sa supériorité professionnelle. Sur le territoire colonial, les classes puissantes ne pouvaient pas comprendre comment un étranger aux manières efféminées et au visage imberbe possédait une telle autorité. A cette époque, il fallait être un homme, macho, mâle, marié, viril et vaniteux, énergique et fougueux. Et Enrique n’était rien de tout cela. Pas même son mariage avec la jeune orpheline Juana de León, ne parvient à éviter que son aspect délicat et ses formes féminines cessent de susciter la curiosité des habitants de la ville. La jeune Juana est très pauvre et souffre de tuberculose. « Je pensais que je pouvais lui venir en aide, et qu'elle pouvait en faire autant à mon égard. Je lui ai expliqué que nous vivrions comme de bons amis, que vu sa faiblesse et sa maladie, elle n’aurait pas à s'acquitter de ses obligations maritales. Elle a été entièrement d’accord », confia Enriqueta quelque temps plus tard. Mais Juana finit par guérir et ne se contente plus de cette situation. Elle veut un mariage et un mari. Un grand conflit éclate alors. Au fil du temps, Juana apprend le secret de son époux et elle n’est nullement disposée à vivre comme deux sœurs le restant de ses jours. Enriqueta s’en va vivre loin de la civilisation, mais les rumeurs sur sa féminité la poursuivent. L’indiscrétion de ses servantes et la demande d’annulation de son mariage de la part de Juana, finissent par la placer sous les verrous. Son délit ? S’habiller en homme. Selon certains livres, comme Por andar vestida de hombre (Accusée de porter des habits d’homme), du chercheur cubain Julio César González Pagés, ce fut l'un des procès les plus polémiques de l’époque coloniale. Le scandale qui entoura le procès acquit une telle ampleur qu’il fut même question de la montrer nue dans les rues de la ville. D’y penser seulement, Enriqueta tenta de se suicider. Elle fut condamnée à dix ans de prison et à une déportation ultérieure. Au terme d'un long recours porté devant les tribunaux et grâce à l’influence exercée par certaines autorités catholiques de l’île, dont l’évêque Espada, la peine fut réduite à quatre ans de service à l’hôpital de Paula, à La Havane. Mais cette femme avait souffert le martyre. Elle devint irascible et agressive. Après une tentative de fuite, elle fut déportée aux Etats-Unis. Plus personne n'eut jamais de ses nouvelles D'aucuns affirment qu’elle mourut en portant des vêtements d’homme, et d’autres, qu’elle fut connue jusqu’à la fin de ses jours comme le « docteur suisse ». Selon certains, elle prit l’habit des Filles de la Charité, sous le nom de sœur Magdalena. Elle termina ses jours saintement, après avoir mené une vie agitée, et se consacra à soigner des malades. Aucune preuve concrète ne vient à l'appui de ces légendes. Les documents du procès à Santiago de Cuba et le texte qui l’autorisait à exercer comme médecin dans l’île sont les seuls à confirmer son existence. Trop d’énigmes persistent encore même si d’importants historiens cubains comme Emilio Roig de Leuchsenring, se sont penchés à fond sur sa vie. Son conflit personnel et professionnel échappe aux recherches très fouillées d'experts tels que le docteur en sciences, Julio César González Pagés. Des oeuvres théâtrales et des romans, tels que Enriqueta Faber, ensayo de novela histórica d’Andrés Vázquez; Don Enriquito, de Francisco Calcagno et Mujer en traje de batalla, d’Antonio Benítez, en ont fait la protagoniste de versions dramatiques et même surréalistes de sa vie. Insumisa, tel est le titre d'un film en projet à l'heure actuelle, qui sera dirigé par le cinéaste cubain Fernando Pérez. Quel sera l’aspect d’Enriqueta sur le grand écran ? Il faudra s'en remettre au génie de Pérez. En effet, conformément à sa mystérieuse histoire, il n’existe aucune image de cette femme profondément énigmatique…. extraordinaire. Son délit : s'habiller en homme
Le début de la fin
Un roman sur Enriqueta