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L’argent roi ou plutôt l’argent de la confiance

Donner pour obtenir de l’argent, ou l’échange basé sur la confiance

Auteur:
Stéphane Ferrux-Bigueur
Date de publication:
22 mars 2018

Comprendre l’économie cubaine par rapport à l’économie en général, c’est d’abord faire face au défit d’introduire Cuba dans l’économie mondiale.

L’argent est le plus puissant des outils de communication qu’ait jamais inventé l’homme. Il passe par-dessus les conflits, il unit toutes les langues, toutes les cultures, simplement parce qu’il se base sur la confiance. On accepte des dollars ou des euros à peu près partout dans le monde parce qu’on a confiance dans l’économie des États-Unis ou dans celle de l’Europe, à tort peut-être, mais c’est pourtant un fait, et c’est ce qui donne leur valeur à ces monnaies. Qu’elles soient faites d’or, d’argent, de graines, de sel, de papier ou même d’une simple écriture dans un serveur informatique quelque part dans le monde, on confie que ces monnaies pourront nous permettre de communiquer, c’est-à-dire d’échanger.

Hors, qui a confiance dans le CUC ou dans le CUP ? Dans le monde, seulement les Cubains, et encore pas tous ! C’est précisément ce qui empêche l’État cubain de communiquer avec le reste du monde et surtout d’obtenir la confiance de ce monde dans lequel il doit s’insérer. Plus grave encore, l’État cubain n’obtient pas ou plus de la part de ses citoyens, pour quelque raison qu'elle soit, cette confiance nécessaire à l’économie. Une monnaie dans laquelle personne ne croit confine un pays dans une certaine autarcie et peut même maintenir un gouvernement isolé de son propre peuple, l’empêchant ainsi de progresser.

Dans une telle situation, ce pays sera obligé de produire par lui-même tout ce dont il a besoin, n’ayant pas ou peu accès aux produits étrangers faute de devises « de confiance ». Certains pays y parviennent grâce surtout à une richesse naturelle ou une production importante, mais ce n’est pas le cas de Cuba qui justement produit très peu.

CUC et CUPUnité d’une des deux monnaies en circulation à Cuba. On l’appelle « peso convertible ». C’est la monnaie introduite aumoment de l’ouverture au tourisme dans les années 90. C’est aujourd’hui la référence pour le marché intérieur en devises. Son taux est de 1 CUC = 1 USD. Unité de l’autre monnaie cubaine, celle qui a toujours existé,qui permet les échanges entre les Cubains qui n’ont pas accès auxdevises. C’est la monnaie utilisée dans les entreprises etinstitutions d’État, celle des salaires aussi. Son taux naturel correspondant au marché entre Cubains est de 25 CUP = 1 USD, tandis que son taux officiel utilisé dans les entreprises cubaines est de 1 CUP = 1 USD.

Deux monnaies, deux Cuba

Pour compliquer la situation, Cuba travaille selon deux modes de production, résultat du manque de confiance entre l’État et les citoyens :

Ces échanges en CUC n’existaient pratiquement pas il y a à peine vingt ans. Ils sont la première ouverture timide sur les marché sextérieurs car ils impliquent toujours un mouvement de devises,qu’ils soient étatiques ou privés.

Cette faible production et ce peu d’échange entre Cubains ne pèsent pas bien lourd dans la balance économique. Certes, on peut acheter avec des CUC une voiture, une maison, une mangue ou un ticket de bus, mais cet échange ne peut se faire qu’entre Cubains à Cuba (ou proche de Cuba). C’est cette petite partie de l’économie qui aujourd’hui permet aux Cubains de vivre ou survivre et qui souvent est assimilé au « marché noir » ou au marché privé, évalué à 1 CUC pour 25 CUP, ou plutôt à 1 USD pour 25 CUP.

Acheter avec des CUC

Qu’en est-il de l’État ? Que fait l’État lorsque qu’il récupère des CUC, par exemple en faisant payer des impôts ? Justement, pas grand-chose. Un pays ou les impôts ne servent pas à grand-chose ! Décidément, Cuba n’est pas comme les autres…

En effet, si ce CUC n’obtient la confiance de pratiquement personne et ne peut donc s’échanger qu’entre Cubains, l’État possédant des CUC doit entrer en confiance avec ses citoyens pour utiliser sa monnaie. Que peut acheter l’État cubain avec tous ses CUC ? Des maisons, des services hospitaliers, de l’éducation, de la sécurité ? Oui, en très faible proportion, seulement en payant certaines prestations aux mêmes Cubains sous forme de salaire. Mais pour acheter des salles d’opération, des hôpitaux, du matériel d’études, du matériel pour les polices et l’armée ? Évidemment, ces CUC ne servent à rien.

Il faut tout acheter en monnaie forte puisque qu’on ne produit pas ce matériel. Dans ces conditions, quel est le plan de l’État cubain ?

Il n’a pas vraiment le choix. Il faut produire le matériel ou fabriquer des produits et services qui pourront s’exporter, et donc amener des devises au pays qui permettront d’acheter ce matériel,et tout le reste ! Il faut donc nécessairement sortir de son île pour échanger avec le reste du monde. Il faut que Cuba s’intègre à l’économie mondiale.

Recevoir des devises et injecter des CUC ou des CUP

L’autre conséquence difficile à enrayer de cette économie d’État est qu’elle permet de bloquer les devises à l’entrée même du pays(et à la sortie). Les caisses de l’État se remplissent ainsi d’euros, de dollars du tourisme, de l’exportation de services de médecins notamment, d’un peu de tabac et de nickel.

En échange, l’État injecte sa propre monnaie, CUC ou CUP, peu importe, sur le marché intérieur et rend ainsi complètement dépendante toute entreprise qui nécessiterait importer des matières premières ou même seulement des biens de consommation courante. De ce fait, le CUC ne vaut pas mieux que le CUP, car il ne permet pas de gérer sa propre entreprise ou même une institution comme un hôpital ou une école. L’entreprise installée à Cuba achète sa matière première en devise et la vend sur le marché intérieur en CUC. Même problème que l’État avec ces recettes d’impôts, que fait-elle de ses CUC ?

Pour les entreprises ou institutions cubaines, on l’a vu, pas grand-chose, puisqu’il faut toujours des devises pour maintenir l’activité que ce soit. Et techniquement, les entreprises cubaines n’y ont pas accès directement. Quant aux entreprises intégrant une partie étrangère, la loi d’investissement leur permet l’exportation à 100 % des bénéfices réalisés à Cuba. Mais dans les faits comment peut-on exporter des CUC ? On est bien obligé de demander le change à l’État cubain. Et forcément celui-ci n’aura pas les liquidités suffisantes.

Redonner confiance, c’est augmenter la croissance

La seule issue pour une entreprise de Cuba est de participer àl’économie mondiale, c’est-à-dire de vendre en devise, c’est-à-dire d’exporter, c’est-à-dire de dialoguer selon la langue universelle de l’argent universe.

Tout n’est donc qu’une affaire de confiance… Posséder de l’argent, c’est posséder de la confiance. L’État cubain doit obtenir la confiance de ses propres citoyens et la confiance du reste du monde pour investir, pour échanger, pour dialoguer. Pour que l’économie intérieure puisse fonctionner et que les échanges avec le monde permettent d’obtenir ce qu’il n’y a pas à Cuba, le pays doit créer une monnaie, une vraie. C’est-à-dire un climat de relations sûres.

Un pays ne possède pas une monnaie parce qu’il sait imprimer du papier ou qu’il gère une banque centrale, non. Un pays possède une monnaie tangible lorsque ceux qui l’utilisent savent qu’ils peuvent la conserver à la banque en toute confiance, qu’ils peuvent investir pour créer des valeurs, qu’ils peuvent acheter à l’intérieur comme à l’extérieur du pays avec une certaine équivalence de prix.

Eh bien, à Cuba, on en est encore loin, même si on sent de la part du gouvernement la volonté d’aller dans ce sens, les faits et les actes trahissent un véritable bloquage, politique et culture. L’unification du CUC et du CUP, le rattrapage d’un taux commun entre économie d’État et économie privée ne sont que des étapes insignifiantes du grand défi que doit affronter Cuba aujourd’hui et qui se résume à : obtenir la confiance de tous !

Le CUP à la bourse de NY

Il n’y a pas l’économie d’un côté et la culture de l’autre, les investissements étrangers pour l’État et l’économie intérieure pour le peuple. C’est un leurre. L’échange et le dialogue avec l’économie et la croissance, que permet la monnaie, ne font qu’un.

C’est pour cette raison qu’il ne peut y avoir qu’une seule monnaie à Cuba et que celle-ci doit obtenir une équivalence avec toutes les monnaies du monde.

La monnaie représente la plus puissante des langues universelles, qu’on parle EUR, USD, CAD, JPY ou encore GBP… et cela ne dépend pas du bon vouloir de Cuba, c’est inéluctable et aujourd’hui imparable. Et jusqu’à preuve du contraire, Cuba n’est pas situé sur la planète Mars mais fait bien partie de notre planète-village. Unifier les monnaies cubaines ne consiste pas à étalonner le CUC sur le CUP, mais plutôt à intégrer Cuba au système monétaire mondial.


Cubanía

Cubanía s’efforce de retranscrire, que ce soit par l’image, le son, ou l’écrit, la vie quotidienne de La Havane et de Cuba à un public hétéroclite, curieux, intéressé, souvent non résidents. Toujours en dehors des grands débats politiques, économiques ou des thèmes couramment traités par les médias officiels, Cubanía souhaite au contraire faire témoigner les Cubains de tous les jours, la société dans son organisation actuelle, à travers des lieux, des traditions, des expressions culturelles parfois méconnues.

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