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Un voyage au XIXème siècle (V) : la fertilité de la terre à Cuba

Épisode 5 : Georges Caron décrit la végétation, la faune et les plantations dans les campagnes à Cuba

Auteur:
Georges Caron
Date de publication:
20 octobre 2022

Dans le cinquième épisode du reportage du XIXe siècle de M. Caron à Cuba, l’auteur dépeint la culture de la terre sur l’île de Cuba.

Cubanía partage un reportage de l'écrivain Georges Caron sur son voyage à La Havane du XIXe siècle, publié en avril 1897 dans la revue le Monde moderne. L’auteur y raconte son arrivée à Cuba et exprime son ressenti sur le pays et sa population. Les lieux décrits et certaines habitudes expliquées sont parfois proches de la réalité d’aujourd’hui… Présentés chronologiquement en 10 épisode, voici le cinquième épisode :

La campagne est d'une proverbiale fertilité, Cuba est bien la Terre promise dont parlait Christophe Colomb. Èden ! terre promise, certes, où la flore s'épanouit en extraordinaires palettes, où la faune curieuse, tourmentée, se joue des difficultés du transformisme, où le soleil chauffe autre, où les nuits d'une clarté, d'une limpidité admirables semblent des jours atténués ! La joie de vivre dans le dolce farniente du sage ! L’épiderme du sol effleuré, et des moissons splendides, sans labeur, sans l'effort hardi de deux bœufs roux qu'un paysan aiguillonne ! La sieste, de longues heures aux hamacs que fraîchissent les éventails de palmiers! La cigarette nimbant les lèvres : la cascariela étanchant les gouttes de sueur sur les peaux brunes. Dormir, dormir!

Dormir, oui ! Mais si peu que ce soit il faut travailler. La canne à sucre, le café, le cacao, le coton ne poussent pas tout seuls. Aussi partout des haciendas (fermes), des ingenios (usines) couvrent le sol. On les installe près d'une rivière dont l'eau, soigneusement captée par des multitudes de rigoles, apporte partout la fraîcheur. La maison d'habitation est basse, à un étage, bordé d'une large véranda. Des plantes grimpantes en enguirlandent les murs, les fenêtres.

On réserve dans les alentours un bois où poussent, dans toute la splendeur de la forêt vierge, les troènes, les cléomes, les ébéniers, les acajoux, les palmiers, arbres mariés les uns aux autres par des lianes folles, des grenadilles, des bégonia, des riana. Tout autour s'étend la monotonie des champs cultivés, séparés les uns des autres par des haies de caféiers aux baies rouges. Des huttes en paille, çà et là, à l'ombre des bouquets d'arbres, s'élèvent. Des nègres y vivent, en familles, dans l'ordure et la puanteur. Si le planteur est riche, il installe sur sa propriété les différents établissements industriels qui lui servent à manufacturer lui-même son cacao, son tabac, son sucre. Si les capitaux lui manquent, de lourdes charrettes traînées par quatre bœufs trapus et courts, porteront la matière première jusqu'à la ville voisine. On travaille le matin, le soir, la nuit même par les beaux clairs de lune des régions tropicales.

L'édition du Monde moderne dans la bibliothèque populaire d'Albert QuantinNé en 1850, Albert Quantin rachète en 1876 le fonds de l'imprimerie de Jules Claye, située au 7 de la rue Saint Benoit, l'une des plus grandes maisons parisiennes du Second Empire qui excelle dans l'édition de « beaux livres ». Possédant le monopole de l'imprimerie du Palais-Bourbon, il en publie les comptes-rendus analytiques. À cela s'ajoutent d'autres collections spécialisées : une « bibliothèque parlementaire », une « militaire » et une « populaire ». C’est de cette dernière collection que sont présentés les tomes successifs du « Monde Moderne » édités chaque semestre. En éditant à partir de 1895 cette « bibliothèque populaire », Albert Quantin créé une collection destinée à un large public et regroupant des textes d’écrivains plus ou moins célèbres sur des sujets d’actualité tels que la littérature, l’histoire, le commerce, le sport ou les voyages. L’éditeur avait la volonté d’en faire la revue qui reflétait le mieux son temps. Ce « reportage » du français Georges Caron y a été publié en avril 1897. L’auteur y raconte son arrivée à Cuba et exprime son ressenti sur le pays et sa population. Les lieux décrits et certaines habitudes expliquées sont parfois proches de la réalité d’aujourd’hui… Évidemment, le tableau se place 11 ans seulement après la mise en pratique de l’abolition de l’esclavage. Quant à l’égalité « officielle » entre Noirs et Blancs, elle ne date que de 1893, soit 4 ans avant cette chronique… C’est pourquoi on se doit de garder à l’esprit la date de rédaction de cette chronique et Cubanía a choisi de la publier « tel quel », sans occulter les références et rapports de l’époque.

Le jour, il faut fuir devant l'ennemi : le soleil ! Le terrible soleil qui incendie tout, torréfie tout. A midi, c'est comme un brouillard qui couvre le paysage. Une haleine de feu sort de la terre crevassée. Rien ne bouge des feuilles, des brindilles d'arbre. Seuls, les oiseaux du paradis, minuscules, de ci de là, partout, volettent leurs plumes dérobées à un arc-en-ciel, et, dans la forêt prochaine, où tout dort, le campanero (oiseau-cloche) de ses notes graves, profondes, sonne l'heure.

L'hospitalité dans les haciendas est écossaise. On y vit de la vie la plus large, la plus cossue du gentleman-farmer, et les jours s'y écoulent, monotones, partagés par la chasse, la culture ; ou de longues promenades sur un de ces petits chevaux trapus, à la tête fine, dont le pied adroit sait se débrouiller au travers des lianes, des troncs d'arbres moussus des forêts. Peu de gibier relativement, la chasse habituelle est au caïman dont on s'empare comme un vulgaire goujon. L'amorce est ici un quartier de viande pourrie recouvrant un crochet aigu. L'animal happe, s'accroche, est tiré à terre, assommé ensuite à coups de bâton, ou déchiqueté par le machete ; mais gare à ses coups de queue ; dans les soubresauts de l'agonie, certains sont terribles.

La bête noire est le scorpion (alacran) qui pullule. Il ne se passe pour ainsi dire pas de jours, pendant la moisson, sans qu'un nègre ne soit piqué. Le remède heureusement n'est pas loin, le scorpion lui-même le fournit : essai amusant d'homéopathie ! Une compresse d'alcool où baignent les scorpions calme instantanément la douleur et cicatrise la piqûre. J'ajouterai que rarement on tue le scorpion. On le force à se suicider. On l'entoure de brindilles sèches auxquelles on met le feu. Le scorpion affolé, tourne, tourne, cherchant une issue dans le cercle de flammes. Rien ! Il se casse en deux, s'enfonce son dard dans la tête et meurt : ô stoïcisme !


Le Monde moderne

Le Monde moderne est une revue mensuelle illustrée généraliste française fondée en1895et disparue en1908. En janvier 1895 sort à Paris, chez Albert Quantin, au 5 de la rue Saint-Benoît le premier numéro d'une nouvelle revue mensuelle illustrée, le Monde moderne. Né en 1850, Albert Quantin rachète en 1876 le fonds de l'imprimerie de Jules Claye, l'une des plus grandes maisons parisiennes du Second Empire qui excelle dans l'édition de « beaux livres ». Située 7 rue Saint-Benoît, la fabrique est agrandie par Albert Quantin qui lui ajoute les numéros 5, 9, et 11. Le développement d'ateliers de reproduction, de taille-douce et de gravure, grâce à l'achat d'un matériel de pointe, lui permet de se spécialiser dans le livre d'art et de s'imposer dans le domaine des ouvrages illustrés de luxe. À sa qualité d'imprimeur il ajoute celle d'éditeur et travaille à la constitution d'un catalogue riche et varié. Dans le domaine des beaux-arts, il édite les œuvres complètes de Manet, Rembrandt, Boucher, Van Dyck ; en littérature, il réunit en de beaux volumes illustrés les œuvres de Balzac, Flaubert, George Sand, Vallès ou Goethe. Associé au célèbre Jules Hetzel, il publie également les œuvres complètes de Victor Hugo. Possédant le monopole de l'imprimerie du Palais-Bourbon, il en publie les comptes-rendus analytiques. À cela s'ajoutent d'autres collections spécialisées : une « bibliothèque parlementaire », une « militaire » et une « populaire ».

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