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Un voyage au XIXème siècle (IV) : la vie et la mort pour les Cubains

Épisode 4 : Georges Caron décrit d'autres traditions havanaises

Auteur:
Georges Caron
Date de publication:
17 octobre 2022

Dans le quatrième épisode du reportage du XIXe siècle de M. Caron à Cuba, l’auteur parle de la danse, la fête du jour des Rois et d'une veillée des morts.

Cubanía partage un reportage de l'écrivain Georges Caron sur son voyage à La Havane du XIXe siècle, publié en avril 1897 dans la revue le Monde moderne. L’auteur y raconte son arrivée à Cuba et exprime son ressenti sur le pays et sa population. Les lieux décrits et certaines habitudes expliquées sont parfois proches de la réalité d’aujourd’hui… Présentés chronologiquement en 10 épisode, voici le quatrième épisode :

Quelques croquis au hasard des rues.

La vieille ville. Une petite place. Des femmes y dansent. Elles s'en donnent à cœur-joie, stimulées par d'agiles castagnettes, une guitare aigre, un tambourin crevé. Olé, olé ! c'est la danse violente du tango, la habanera voluptueuse et lente. Des hommes qui passent se mêlent aux danseuses. Olé, olé ! Il fait chaud, les peaux brunes transpirent. Pouf, pouf, pouf, pouf... à petits coups de houpettes, les femmes se couvrent la figure de cascarilla (poudre de coquilles d'œufs pulvérisée). Un homme attaque l'air populaire de la Paloma. La Paloma est reprise en chœur. Balancement de hanches. Autre chanson, sur un thème musical connu, improvisée par le guitariste. Il passe en revue les beautés visibles et secrètes des danseuses. Chacune a son couplet. Traduction ? impossible !

Six janvier, jour des Rois ! Un cri part, qui vient du Morro, grossit, s'enfle — comme le couplet de la calomnie dans le Barbier— renverse tout : los nanigos, les forçats ! Un roulement de tambour, les nanigos encadrés de soldats font dans la ville leur hygiénique promenade annuelle. Les rues se vident, se ferment les persiennes des maisons, se terrent Cubains et Cubaines ! Nanigos est — là- bas— synonyme de croque-mitaine. Les nanigos, — indescriptible mélange de forçats de toutes les races, de tous les types, où le nègre cependant domine, — dans les carrefours qu'encerclent les soldats, baïonnettes au canon et fusils chargés, dansent et chantent.

L'édition du Monde moderne dans la bibliothèque populaire d'Albert QuantinNé en 1850, Albert Quantin rachète en 1876 le fonds de l'imprimerie de Jules Claye, située au 7 de la rue Saint Benoit, l'une des plus grandes maisons parisiennes du Second Empire qui excelle dans l'édition de « beaux livres ». Possédant le monopole de l'imprimerie du Palais-Bourbon, il en publie les comptes-rendus analytiques. À cela s'ajoutent d'autres collections spécialisées : une « bibliothèque parlementaire », une « militaire » et une « populaire ». C’est de cette dernière collection que sont présentés les tomes successifs  du « Monde Moderne » édités chaque semestre. En éditant à partir de 1895 cette « bibliothèque populaire », Albert Quantin créé une collection destinée à un large public et regroupant des textes d’écrivains plus ou moins célèbres sur des sujets d’actualité tels que la littérature, l’histoire, le commerce, le sport ou les voyages. L’éditeur avait la volonté d’en faire la revue qui reflétait le mieux son temps. Ce « reportage » du français Georges Caron y a été publié en avril 1897. L’auteur y raconte son arrivée à Cuba et exprime son ressenti sur le pays et sa population. Les lieux décrits et certaines habitudes expliquées sont parfois proches de la réalité d’aujourd’hui… Évidemment, le tableau se place 11 ans seulement après la mise en pratique de l’abolition de l’esclavage. Quant à l’égalité « officielle » entre Noirs et Blancs, elle ne date que de 1893, soit 4 ans avant cette chronique… C’est pourquoi on se doit de garder à l’esprit la date de rédaction de cette chronique et Cubanía a choisi de la publier « tel quel », sans occulter les références et rapports de l’époque.

Un velorio, ou veillée des morts. De quart d'heure en quart d'heure, les parents, les amis, vont s'agenouiller près du lit mortuaire, vociférant l'éloge du défunt. Comme le velorio dure parfois trente-six heures, il faut ménager ses forces. La famille a installé, en conséquence, un buffet soigneusement garni de tafia et d'aguardiente. On y fait honneur. Le soleil aidant, l'ivresse vient vite. Tant mieux, on n'en criera que mieux. Quand on enlève le cadavre, les vociférations sont à leur paroxysme. Le mort dans la fosse, changement à vue, tout se calme comme par enchantement. A quoi bon s'attrister plus longtemps, cela ne ressuscitera pas le défunt!

On se tue à La Havane, sans vergogne ! C'est le mépris des peuples primitifs pour la vie humaine. Ne sortez pas le soir sans un revolver. A tout bout de champ, on vous demandera la bourse ou la vie. Montrez vos armes, on s'excusera : « Pardon, señor, je m'étais trompé ! » Le voleur s'éloigne avec un coup de chapeau sentant son gentilhomme d'une lieue. Cela n'a pas d'importance. Dans la campagne, cela devient plus grave. Les Fra Diavolo y abondent, et triste est le sort de ceux qui tombent entre leurs mains. C'est la mort ou la forte somme. Les gendarmes espagnols sont généralement les meilleurs amis des bandits. Le seul moyen, si l'on veut s'offrir un voyage d'explorations dans des régions quelque peu désertes, est de payer rançon.


Le Monde moderne

Le Monde moderne est une revue mensuelle illustrée généraliste française fondée en1895et disparue en1908. En janvier 1895 sort à Paris, chez Albert Quantin, au 5 de la rue Saint-Benoît le premier numéro d'une nouvelle revue mensuelle illustrée, le Monde moderne. Né en 1850, Albert Quantin rachète en 1876 le fonds de l'imprimerie de Jules Claye, l'une des plus grandes maisons parisiennes du Second Empire qui excelle dans l'édition de « beaux livres ». Située 7 rue Saint-Benoît, la fabrique est agrandie par Albert Quantin qui lui ajoute les numéros 5, 9, et 11. Le développement d'ateliers de reproduction, de taille-douce et de gravure, grâce à l'achat d'un matériel de pointe, lui permet de se spécialiser dans le livre d'art et de s'imposer dans le domaine des ouvrages illustrés de luxe. À sa qualité d'imprimeur il ajoute celle d'éditeur et travaille à la constitution d'un catalogue riche et varié. Dans le domaine des beaux-arts, il édite les œuvres complètes de Manet, Rembrandt, Boucher, Van Dyck ; en littérature, il réunit en de beaux volumes illustrés les œuvres de Balzac, Flaubert, George Sand, Vallès ou Goethe. Associé au célèbre Jules Hetzel, il publie également les œuvres complètes de Victor Hugo. Possédant le monopole de l'imprimerie du Palais-Bourbon, il en publie les comptes-rendus analytiques. À cela s'ajoutent d'autres collections spécialisées : une « bibliothèque parlementaire », une « militaire » et une « populaire ».

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