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Un voyage au XIXème siècle (I) : M. Caron arrive à La Havane

Episode 1 : Georges Caron décrit ses premières impressions de la ville de La Havane

Auteur:
Georges Caron
Date de publication:
11 octobre 2022

Dans le premier épisode du reportage du XIXe siècle de M. Caron à Cuba, l’auteur arrive à La Havane et y découvre la splendeur de la ville et de ses habitants.

Cubanía partage un reportage de l'écrivain Georges Caron sur son voyage à La Havane au XIXe siècle, publié en avril 1897 dans la revue le Monde moderne. L’auteur y raconte son arrivée à Cuba et exprime son ressenti sur le pays et sa population. Les lieux décrits et certaines habitudes expliquées sont parfois proches de la réalité d’aujourd’hui… Présentés chronologiquement en 10 épisode, voici le premier épisode :

Au débarqué, sur la blancheur du quai, un grouillement ! Nègres court vêtus, Chinois à la longue queue, Cubanos au teint de citron, Espagnols bronzés, vêtus de blanc, coiffés du classique panama. Cris, hurlements, batailles pour le meilleur hôtel, San Carlos, de Europa, de Inglaterra, de Isabel, del Telegrafo. « N'ayez crainte, me dit une connaissance du paquebot, injuriez et bataillez. » J'injurie, bataille, obtiens un apaisement relatif : six personnes seulement se disputent ma valise. Un mulâtre tient la poignée de gauche, un nègre la poignée de droite. Le mulâtre a un mot superbe : « Nègre, qui veut faire concurrence au blan ! » Le nègre n'insiste plus.

Je suis mon guide jusqu'à la station de volantes. Cent pas à faire, en cent pas il me dit mille mots. Il m'interroge, se fait lui-même les réponses, en semble content. Il m'appelle cabalero, et me déclare que c'est un honneur pour un cabalero tel que lui de guider un cabalero tel que moi. Au cocher de la volante — sorte de fiacre juché sur de hautes roues — il me recommande jalousement. Nous ne nous connaissions pas il y a cinq minutes, mais peu importe, je suis son ami, son meilleur ami; il a connu mon père, ma mère, ma famille; il sait ce que je viens faire à la Havane; je suis son chico. Il me serre la main, accepte mon pourboire, non comme salaire, mais comme présent, et à la disposición de usted. Nous partons.

L'adresse que j'ai donnée est lointaine : toute la ville à traverser. Le cheval n'est pas pressé, le cocher non plus. A chaque détour de rue il rencontre une connaissance à qui il crie quelques mots. L'autre répond, mon cocher s'arrête, bavardage où il est question de cabalero, de l'excellence, de l'altesse que je suis. —Muy bien. — Y adiós. — La roue de droite, à un tournant dangereux, fait gigler une flaque d'eau sur une marchande. Injures alors, oh! injures à faire rougir des singes, salade d'atrocités superbement dites, de cris, de larmes, de poings menaçants. Enroués, enfin, le cocher et la marchande se quittent... poliment. — Adiós, señora. — Adiós, cabalero. — Ma parole, la señora envoie par-dessus le marché un baiser au cabalero. J'oubliais : nous sommes au pays des mots !

La vieille ville ! Un semis de rues torves, étroites, pavées d'immondices, surplombées de maisons gaiement concaves, les jalousies des maisons jointes d'un côté à l'autre par des guirlandes de ficelle où l'on met le linge à sécher. Et ce linge, il faut le voir, en loques, rapiécé de rouge, de bleu, de vert ; c'est plus joli. Des coins de peuple amusants, autour d'un guitariste, d'une marchande de fruits, à la porte d'un barbier. Mais tous ces gens-là, vus de loin, vont se battre ; c'est une tuerie ! Oh ! que nenni ! Ils causent de la pluie et du beau temps : l'habitude du geste, voilà tout.

L'édition du Monde moderne dans la bibliothèque populaire d'Albert QuantinNé en 1850, Albert Quantin rachète en 1876 le fonds de l'imprimerie de Jules Claye, située au 7 de la rue Saint Benoit, l'une des plus grandes maisons parisiennes du Second Empire qui excelle dans l'édition de « beaux livres ». Possédant le monopole de l'imprimerie du Palais-Bourbon, il en publie les comptes-rendus analytiques. À cela s'ajoutent d'autres collections spécialisées : une « bibliothèque parlementaire », une « militaire » et une « populaire ». C’est de cette dernière collection que sont présentés les tomes successifs  du « Monde Moderne » édités chaque semestre. En éditant à partir de 1895 cette « bibliothèque populaire », Albert Quantin créé une collection destinée à un large public et regroupant des textes d’écrivains plus ou moins célèbres sur des sujets d’actualité tels que la littérature, l’histoire, le commerce, le sport ou les voyages. L’éditeur avait la volonté d’en faire la revue qui reflétait le mieux son temps. Ce « reportage » du Français Georges Caron y a été publié en avril 1897. L’auteur y raconte son arrivée à Cuba et exprime son ressenti sur le pays et sa population. Les lieux décrits et certaines habitudes expliquées sont parfois proches de la réalité d’aujourd’hui… Évidemment, le tableau se place 11 ans seulement après la mise en pratique de l’abolition de l’esclavage. Quant à l’égalité « officielle » entre Noirs et Blancs, elle ne date que de 1893, soit 4 ans avant cette chronique… C’est pourquoi on se doit de garder à l’esprit la date de rédaction de cette chronique et Cubanía a choisi de la publier « tel quel », sans occulter les références et rapports de l’époque.

La ville nouvelle, extra muros, comme l'on dit ! Elle est belle, riche, froide. C'est la cité moderne dans sa banalité coutumière, mais les maisons n'ont qu'un rez-de-chaussée percé de larges baies pour que l'air, la lumière y entrent à flots. Quelques visions de jolies femmes, de gentlemen trop bijoutés, de boutiques à l'instar de Paris. Des églises, des places, des squares !

Le premier soir, je me promène dans les rues, au hasard du caprice. Où suis-je ? dans quelle ville de rêve ? Un grand coup de lune éclaire des rez-de-chaussée blancs, aux fenêtres ouvertes, d'où le regard plonge dans toute une profondeur d'appartements et... des femmes aux fenêtres, partout, partout. Des figures pâles, où deux yeux noirs ressortent avec un éclat de jais, les cheveux couverts d'une mantille. Et des hommes s'arrêtent sur l'étroit trottoir qui longe les maisons, s'accoudent aux fenêtres et causent. « Ave, Maria., purissima, » dit l'un; et la femme répond d'un sourire. « Vos yeux brillent comme les phares du Morro, » dit l'autre à une jeune fille aux nattes rousses. La señorita ne daigne pas prêter attention, l'homme reprend : « Vos yeux sont plus éclatants que la plus éclatante des étoiles. » Autre dialogue vingt pas plus loin : « Señorita, que Dieu vous conserve ! Vous êtes plus belle que la Vierge de Covadonga. » Le compliment plaît à la señorita. Elle agite son éventail. L'homme s'accoude et cause : « Qui êtes-vous, señorita? » — « Une telle, fille d'une telle. » — « Que Dieu bénisse la mère qui vous a mise au monde ! » — « Et vous, qui êtes-vous? » — « Ib señor Cabalero X. » Suit une énumération incroyable de prénoms. Flirt où les piropos (compliments) sont énoncés avec la sérénissime faconde de la langue espagnole. Un autre señor cabalero arrive. Le premier cède la place, et ainsi de suite !

Mais alors... me direz-vous... les Cubaines ?... Oh ! ne vous trompez pas, cela ne va pas plus loin... Simple flirt, pas autre chose qu'un flirt. Les femmes, là-bas, et des plus grandes et des plus riches familles, trouvent tout naturel cet hommage de l'inconnu qui passe.


Le Monde moderne

Le Monde moderne est une revue mensuelle illustrée généraliste française fondée en1895et disparue en1908. En janvier 1895 sort à Paris, chez Albert Quantin, au 5 de la rue Saint-Benoît le premier numéro d'une nouvelle revue mensuelle illustrée, le Monde moderne. Né en 1850, Albert Quantin rachète en 1876 le fonds de l'imprimerie de Jules Claye, l'une des plus grandes maisons parisiennes du Second Empire qui excelle dans l'édition de « beaux livres ». Située 7 rue Saint-Benoît, la fabrique est agrandie par Albert Quantin qui lui ajoute les numéros 5, 9, et 11. Le développement d'ateliers de reproduction, de taille-douce et de gravure, grâce à l'achat d'un matériel de pointe, lui permet de se spécialiser dans le livre d'art et de s'imposer dans le domaine des ouvrages illustrés de luxe. À sa qualité d'imprimeur il ajoute celle d'éditeur et travaille à la constitution d'un catalogue riche et varié. Dans le domaine des beaux-arts, il édite les œuvres complètes de Manet, Rembrandt, Boucher, Van Dyck ; en littérature, il réunit en de beaux volumes illustrés les œuvres de Balzac, Flaubert, George Sand, Vallès ou Goethe. Associé au célèbre Jules Hetzel, il publie également les œuvres complètes de Victor Hugo. Possédant le monopole de l'imprimerie du Palais-Bourbon, il en publie les comptes-rendus analytiques. À cela s'ajoutent d'autres collections spécialisées : une « bibliothèque parlementaire », une « militaire » et une « populaire ».

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