L'Église catholique à Cuba (I) : la trajectoire avant 1959
Partie 1 : Le chemin accidenté de l'église catholique à Cuba
Auteur:
Cubanía
Date de publication / actualisation:
11 janvier 2023
L'Église catholique a débarqué à Cuba en 1511 avec la colonisation espagnole. À côté des conquérants, quatre moines ont traversé l'île lors des expéditions qui ont scellé la domination de l'Espagne. « Sur le même chemin la croix et l'épée, et une soif insatiable d'or dans le cœur [...] », comme l’a écrit le père Bartolomé de las Casas, défenseur des populations aborigènes exterminées.
Cette contradiction a marqué l'existence du catholicisme dans ce pays caribéen. L'Église a survécu à la fin d'un Empire, à la décadence d'une République et aux contradictions d'un système socialiste ; elle n’est jamais restée au-dessus de la mêlée, mais elle est plongée dans les cinq siècles d'une histoire nationale agitée. Cubanía vous raconte cette histoire en trois parties, en commençant par la trajectoire de l'Eglise catholique à Cuba depuis la colonisation jusqu'à la Révolution de 1959.
Avec la bénédiction du Pape Alexandre VI, l'Espagne des Rois Catholiques s'est jetée sur l'Amérique dans le but d'étendre la foi et de convertir les populations du Nouveau Monde. Toutefois, l'évangélisation des peuples autochtones ne s’est pas passée calmement et les autels ont été tachés de sang dans le tourbillon de la conquête.
L'Église a accompagné les troupes du conquérant Diego Velázquez et elle a établi le premier évêché dans la ville de Nuestra Señora de la Asunción de Baracoa en 1518. La première messe avait eu lieu bien avant, le 13 juillet 1494, dans la région de Jatibonico, l’actuelle province de Sancti Spíritus, en présence de l'Amiral Christophe Colomb.
À l'abri du Real Patronato, qui plaçait ses affaires sous l'égide des rois d'Espagne, elle a crû continuellement durant trois siècles, au point de posséder un tiers de la richesse nationale. En 1986, la Rencontre Nationale Ecclésiale Cubaine (ENEC) a reconnu dans le document final :
L'œuvre évangélisatrice de l'Église de cette époque est à nuancer. En rapport aux esclaves noirs, dans la majorité des cas, l'évangélisation a été précaire. Leur catéchisation et leur baptême obéissait plus à une démarche formelle qu'à un désir sincère de les convertir, car il existait une peine d'excommunication pour ceux qui apportaient des esclaves non baptisés
En pratique, le clergé, qui avait béni l'extermination de milliers d'indigènes et le travail inhumain, a ensuite approuvé et profité de la soumission forcée de millions d’hommes et de femmes arrachés d’Afrique et de leurs descendants.
Plongés dans une société coloniale où la corruption était quotidienne, certains représentants de l'Église étaient plus préoccupés par les plaisirs terrestres que par le salut de leurs âmes. Un synode diocésain, convoqué par l'évêque de Santiago de Cuba, Gabriel Vera Calderón (1621-1676), a interdit aux prêtres des coutumes comme porter des armes ou réaliser des bals publics dans les temples. Toutefois, les tentatives de discipliner le clergé, entreprises par le gouvernement ou l'Épiscopat, ont plusieurs fois échoué.
Pendant les deux guerres d'indépendance, celle des Dix Ans (1868-1878) et la Guerre du 95 (1895-1898), la haute hiérarchie catholique, dominée par des prélats d'origine espagnole, s’est placée à côté des autorités coloniales. Elle s'est alors éloignée davantage de la majorité de la population cubaine, sympathisante de la cause séparatiste.
L'évêque de La Havane, Manuel Santander y Frutos (1835-1907), qui qualifiait les troupes insurgées de « fléau de Dieu », en est arrivé au point de conseiller qu'on remette les temples à l'armée espagnole pour les utiliser à défendre les communes.
Santander fût ami du capitaine général Valériano Weyler, qui est célèbre pour son ordonnance de Reconcentración, par laquelle la population cubaine a été décimée : elle était concentrée dans des villages sans la moindre condition de subsistance.
Cet évêque a fait chanter le Te Deum d'action de grâce pour la mort de José Martí (1853-1895), le Héros National de Cuba, et d’Antonio Maceo (1845-1896), le second général de plus haut rang de l'Armée Libératrice.
Pour sa part, le Saint-Siège a approuvé les efforts de la Péninsule ibérique pour maintenir sa domination sur Cuba. En septembre 1896, dans un message aux militaires espagnols qui embarquaient vers l'île, le Pape les a exhorté à « […] combattre contre les ennemis d'Espagne, contre les noirs et les mulâtres comme contre les blancs et les créoles, contre les ingrats de la mère patrie qui, abusant de la liberté qu’on leur a accordé, lui font une guerre cruelle. » Et plus tard il affirmait : « Vous allez soutenir une guerre sainte parce que les insurgés détruisent les églises, empêchent le culte divin et tuent nos fidèles. »
Toutefois, quelques prêtres cubains ont soutenu l'indépendance du pays et ils ont parfois questionné le rôle de leurs supérieurs espagnols, au prix de leur vie. Le 30 septembre 1898, peu avant la fin de la lutte, un groupe de 52 ecclésiastiques a publié le Manifeste du Clergé cubain natif, dans lequel ils ont exprimé leur soutien à la séparation de l'Espagne. Ils ont manifesté leur inquiétude quant à la disparition du catholicisme dans la société cubaine.
« Le clergé Natif a eu la même raison que le Peuple Cubain pour se lever en armes ; pour ne plus jamais vouloir dépendre du Clergé Espagnol », assurait le texte. Comme le signale le dit document de l’ENEC :
[...] une Église qui ne répondait pas aux valeurs profondes ni aux inquiétudes réelles du peuple ne pouvait pas être un signe efficace ni un instrument d'appui suffisant pour l'évangélisation.
La lumière de l'Évêque Espada et de Félix Varela
Cependant, l'Église Catholique a aussi apporté des hommes illustres à l'histoire de Cuba. Leur empreinte a transcendé le temps et les mouvements politiques. Les deux exemples les plus notoires sont peut-être l'évêque Juan José Díaz de Espada y Fernández de Landa (1832-1756) et le prêtre Félix Varela (1788-1853).
Le premier a introduit d'importantes réformes dans la vie quotidienne de la colonie et a appuyé les institutions culturelles les plus avancées de son temps. Il a construit le Cimetière Général de La Havane, connu comme le Cimetière de Espada, dans le but d'éradiquer la coutume malsaine des enterrements dans les églises. Il a aussi créé la Junte du Vaccin pour étendre la lutte contre la variole, et a fondé le Jardin Botanique de La Havane, l'Académie de Peinture de San Alejandro qui existent encore. Il a également été à l'initiative de la création du premier laboratoire de physique et de Chimie du pays.
Après avoir été ordonné prêtre le 11 décembre 1811, en la Cathédrale de La Havane, Varela a assumé la Chaire de Philosophie, de Physique et d'Éthique au Séminaire de San Carlos et de San Ambrosio, qui concentrait le meilleur de la pensée cubaine au début du 19ème siècle, au dessus de l'Université Royale et Pontificale de San Jéronimo de la Havane, fondée par les prêtres dominicains en 1728. Plusieurs illustres intellectuels cubains de l'époque, comme José Antonio Saco, José de la Luz y Caballero et Domingo del Monte, ont été formés par les enseignements de Varela. En outre, il a fondé la première Société Philharmonique de La Havane et il a intégré la Société Économique des Amis du Pays.
Cathédrale de San Cristóbal de La Havane
La Cathédrale de San Cristóbal, située dans l'un des plus vieux quartiers de La Havane, est l'une des plus anciennes d'Amérique latine, son nom lui a été donné en hommage à Christophe Colomb, dont elle aurait abrité les cendres. Un lieu chargé d'histoire.
Il a été élu Député aux Cortes d'Espagne en 1821. En partant il ignorait qu'il ne foulerait plus la terre cubaine. Durant son année en tant que représentant de Cuba, il a demandé la reconnaissance de l'indépendance des nations d’Amérique Latine, l'autonomie pour les provinces espagnoles d’outre-mer – Cuba, Porto Rico et les Philippines – et l'abolition de l'esclavage.
Après l'invasion française et la réinstauration de Fernando VII en 1823, il a dû s’exiler aux Etats-Unis. Convaincu qu'il n'y avait pas d’autre voie pour Cuba que son indépendance, il a plaidé jusqu'à sa mort pour la libération totale de l'île. « Je suis le premier à être contre toute union de l'île à un quelconque gouvernement, et je souhaiterais la voir comme une île politiquement comme géographiquement [...] », a-t-il soutenu.
L'Église durant un demi-siècle de République
Malgré ses liens étroits avec la métropole espagnole, l'Église catholique a survécu à la fin de la domination espagnole sur Cuba. Son influence dans les structures du pouvoir s’est maintenue, elle a même récupéré des possessions confisquées par le gouvernement colonial dans les années 1830.
Les Constitutions de 1902 et de 1940, bien qu'établies dans la division de l'État et de l'Église, ont réaffirmé la morale chrétienne comme modèle de conduite sociale à suivre. L’article 26 de la première Grande Charte de la République – ratifié dans l'article 35 de 1940 – affirmait :
La profession de toutes les religions est libre, ainsi que l'exercice de tous les cultes, sans autre limitation que le respect de la morale chrétienne et de l'ordre public.
Dans un pays où coexistaient d’autres pratiques religieuses, en particulier celles d'origine africaine, cette législation a représenté, dans la pratique, une restriction de la liberté de culte.Toutefois, le soutien de la haute hiérarchie catholique aux gouvernements successifs a été le plus polémique, en particulier le soutien au coup d'État du 10 mars 1952, fondateur de la dictature du Fulgencio Batista.
Pendant les années du régime militaire l’épiscopat s'est divisé en trois : ceux qui soutenaient résolument le tyran ; un courant dirigé par le cardinal Manuel Arteaga plus intéressé à protéger la stabilité et les intérêts de l'Église Catholique ; et un groupe critique conduit par l'évêque de Santiago de Cuba, Enrique Pérez Serantes, qui est arrivé à proposer un changement de gouvernement pour obtenir la paix.
Cependant, des laïcs et des prêtres se sont opposés ouvertement à la tyrannie et ont collaboré plus ou moins activement avec le mouvement révolutionnaire qui a abouti avec le triomphe de l'Armée Rebelle de Fidel Castro le 1 janvier 1959.
Dans les années 50 la population cubaine se déclarait majoritairement catholique – 72,4 pour cent selon un sondage effectué par le Groupe Catholique Universitaire en 1954. Néanmoins, dans les secteurs ouvriers et la population rurale, l'assistance fréquente aux messes atteignait seulement 4,5 pour cent. D'autre part, le clergé était principalement espagnol, formé sous le régime de Francisco Franco, et avait des idées contraires à tout mouvement gauchiste.
Le bouleversement produit par la Révolution a révélé l'influence relative d'une Église Catholique trop attachée au pouvoir et tournant le dos aux réalités qui exploseraient avec le nouveau changement social.
Religion
L'Église catholique à Cuba (II) : après le triomphe de la Révolution
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