Évolutions de langage depuis la Révolution Cubaine
Les expressions pour s'interpeller évoluent au rythme de la société
Auteur:
Inter Press Service en Cuba
Date de publication / actualisation:
31 octobre 2012
À Cuba, comme partout ailleurs, les différentes façons utilisées pour s'adresser à une personne sont conditionnées par divers facteurs et reflètent une société en constante évolution. Cet article est centré sur leur utilisation dans les lieux publics, avant et après la Révolution, dans des échanges où émetteurs et récepteurs ne se connaissent pas.
Cet article proposé par Cubanía, a été originellement écrit par l'agence de presse internationale, Inter Press Service.
Conséquences de la Révolution sur le langage
En ce qui concerne les façons de s’interpeller, il faut observer le présent en analysant le passé. Dans le cas de Cuba, 1959 est une référence et une coupure obligée. Jusqu'à 1958 les façons les plus habituelles de s’adresser à quelqu’un dans le langage des Cubains étaient : le nom propre, señor/señora (monsieur/madame). Les moins fréquentes, ou réservées à certains cercles : caballero (gentleman), don/doña.
Le gouvernement révolutionnaire instauré en 1959 a apporté, logiquement, une révolution dans les coutumes. Immédiatement le mot « compañero(a) » a occupé un premier plan parmi les façons de s’interpeller. Certaines personnes voulaient refléter leur position politique avec l'utilisation du langage. Ils arrivaient parfois à des extrêmes tels, que si quelqu'un s'adressait à eux en les appelant « monsieur », ils répondaient : « « monsieur » non, « compañero », les messieurs ont quitté le pays ». De même, l’inverse pouvait se produire : si on disait « compañero » à une personne qui n’avait aucune affinité avec la Révolution, elle pouvait répondre : « les compañeros sont les bœufs ». Il est évident que des positions si extrêmes étaient en rapport avec le niveau culturel de l'individu.
Le mot «compañero» a acquis définitivement un prestige parmi les façons de s’interpeller et il a coexisté avec le mot «monsieur» durant les quatre dernières décennies du XXe siècle. Le mot «camarada (camarade) », dont l'utilisation avait, en accord avec son origine, une connotation sociale encore plus prononcée que le mot «compañero (compagnon)», a aussi été massivement incorporé à partir des années 60.
La Révolution a signifié une grande ouverture de tous les espaces qui étaient précédemment restreints par l’appartenance de classe ou raciale, comme les plages, les clubs, etc. Le mélange de toutes les classes sociales dans un espace commun, dans tous les lieux publics, a apporté des conséquences logiques sur le terrain des relations sociales et, en consonance, dans le langage.
La campagne d'alphabétisation de 1961, a permis l'élévation du niveau d'instruction des Cubains depuis lors. Le niveau d'instruction a eu des conséquences sur le plan culturel et, évidemment, sur le langage. Une grande quantité d'erreurs dans la façon de s’exprimer, apparues pendant la période prérévolutionnaire étant donné le bas niveau scolaire général, a diminué ou a presque disparu. Par contre, l'élévation du niveau d'instruction ne produit pas forcément une amélioration dans le niveau de langage de la personne. Ainsi, paradoxalement, un ingénieur reconnu n’est pas nécessairement une personne ayant un niveau de langue soutenue.
De nombreux facteurs interviennent dans les changements qui ont lieu dans la langue et ils la transforment constamment : la science, la technique, le sport, les emprunts d'autres langues, etc. Et dans l'univers linguistique les façons de s’interpeller changent aussi.
Le mot « monsieur » a souffert l'opposition du mot « compañero » durant les premières années du pouvoir révolutionnaire à Cuba. Il a ensuite été revalorisé dans le pays suite à la création des premiers magasins en devises et entreprises mixtes, mais aussi, et surtout, avec l’essor du tourisme et de son privilège conséquent dans l’économie de l’île. Ainsi, le mot « compañero » a souffert d'un total bannissement dans le vocabulaire des employés des magasins en devises et dans les sites touristiques.
Usage quotidien du langage familier
Toutefois, le nouveau prestige du vocable «monsieur» ne l'accompagne pas dans tous les lieux publics. La personne qui est appelée « monsieur », ou «madame», dans les magasins en devises, ou dans le centre touristique, sera nommée différemment quand elle changera de milieu. En fonction des interlocuteurs et de leur âges, elle peut être appelée : hermano, compadre, compañero, tío, puro, abuelo, mi padre, asere, yunta, mayor, mi niño, mi chiquitico, mi amor, mi corazón, bróder - dérivé de l'anglais "brother", consorte, monina, ecobio, chama etc.
Comme nous pouvons l’observer, la nature de ces mots est très variée : mi padre, mi hermano, abuelo, tío, - mon père, mon frère, grand-père, oncle, marquent une parenté ; mi amor, mi corazón, - mon amour, mon cœur, évoquent une sorte d'intimité ; mi niño, mi chiquitico, - mon enfant, mon petit, dénotent un traitement infantile.
Puro, yunta, asere, consorte, ecobio, monina, compadre, mayor, bróder, résultent du mélange de l’argot carcéral et du jargon vulgaire avec des mots des sectes syncrétiques afro-cubaines. L'incorporation de mots provenant des sectes syncrétiques au langage cubain familier a connu un considérable accroissement lors des dernières décennies. Deux facteurs sont évidents dans ce phénomène. Tout d'abord l'augmentation des adeptes de ces religions mais aussi la révélation de secrets qu'ont souffert ces dernières. Ces révélations ont mis en circulation des expressions qui étaient seulement prononcées durant les cérémonies et les réunions des initiés.
Les mots mentionnés ci-dessus, dits dans des lieux publics par des personnes qui très souvent ne connaissent pas leur interlocuteur, acquièrent un faux sens de familiarité, ou de fausse affection. Ils sont très communément employés à Cuba. Les recherches réalisées dans le domaine de la linguistique indiquent que les changements dans la perception des relations sociales sont la conséquence de l'évolution de la société.
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