Le virus du chikungunya à Cuba
Quels sont les véritables risques et les précautions à prendre face au virus du chikungunya ?
Depuis la mi septembre 2025, Cuba fait face à une épidémie du virus chikungunya. 40 autres pays à travers le monde connaissent une situation similaire. A Cuba, le vecteur du virus est la femelle des moustiques Aedes aegypti et Aedes albopictus (moustique tigre). Ces moustiques piquent en journée et transmettent le virus d'un humain infecté à un humain en bonne santé. C'est l'unique voie de transmission.

Guerre déclarée contre le moustique
Le 20 novembre 2025, la Mesa Redonda de Cuba, émission télévisée quotidienne rassemblant des experts pour débattre d’un sujet, a abordé le renforcement des actions face à l’avancée du chikungunya et d’autres arbovirus. Lors de cette émission, des responsables du ministère de la Santé publique (MINSAP) et des experts en arboviroses ont présenté la situation épidémiologique du pays et les stratégies mises en place pour y faire face. L’accent a été mis sur la nécessité de travailler depuis tous les secteurs pour contrer la propagation de ces maladies, notamment le chikungunya.

Source : presidencia.gob.cu
Conseil de Défense Nationale Cubain
Le Conseil de Défense National a été saisi. Toutes les institutions de l’Etat sont ainsi mobilisées pour faire face à l’épidémie avec l'objectif de son éradication totale d’ici deux mois. Les autorités ont souligné l’importance de la vigilance, de la prévention (élimination des gîtes larvaires, protection individuelle) et de la coordination entre les institutions pour limiter l’impact sur la santé publique.
Concrètement la surveillance extrême de la population est mise en place et les foyers potentiels de contamination sont isolés. La fumigation est systématiquement employée dans les zones à risque.
Se prémunir contre la contamination
Mais le plus efficace contre le virus reste l’hygiène et la vigilance personnelle. Il s’agit d'éviter de se faire piquer par ce type de moustique. En voyage à Cuba, il est possible de se retrouver dans des zones naturelles à forte densité en moustique, comme le parc de la Cienaga de Zapata, mais ce sont d’autres espèces de moustiques qui peuplent ces endroits naturels. Les deux types de moustiques Aedes, transmetteurs, sont concentrés davantage dans les zones urbaines à forte densité, des zones qu’il faut donc éviter. L’autre recommandation, très efficace, est simplement d'employer un anti-moustique. Facile à prévoir dans ses bagages pour le visiteur, ces produits vendus en devise et difficiles à trouver sur place sont malheureusement inaccessibles pour la majorité de la population cubaine. La troisième solution contre le chikungunya consiste à se faire vacciner, en effet un vaccin est disponible en Europe, mais il n’est pas remboursé par la Sécurité Sociale, du moins en France.
Commentaire de la Dre Ileana Morales Suárez,
Les facteurs qui ont contribués au développement d’une épidémie à Cuba sont principalement : le changement climatique, avec des températures élevées qui influencent directement le vecteur ; auquel on ajoute le niveau élevé d'urbanisation, tant au niveau mondial qu'à Cuba et finalement la présence à Cuba d'un vecteur capable de transmettre la maladie : les moustiques Aedes aegypti et Aedes albopictus (moustique tigre).
Dans un second temps, le facteur principal ayant mené à la collision épidémiologique à Cuba est la vulnérabilité due au vieillissement important de la population, où près d'un Cubain sur quatre a 60 ans ou plus. Généralement, les personnes âgées souffrent d'une, deux, voire trois comorbidités.
Le protocole établi du système scientifique et premières interventions sanitaires a été activé. Ce mécanisme garantit la “ justification scientifique” des interventions et études proposées, dans le respect constant des aspects éthiques et réglementaires. Trois nouveaux projets de recherche ont été approuvés dans ce sens :
- le développement de nouveaux produits d’études cliniques et d’essais cliniques,
- l’interventions sanitaires complexes,
- les recherches visant à mieux caractériser le comportement du virus à Cuba.
Les premières interventions sanitaires ciblent les personnes âgées, et débuteront à La Havane.
Commentaire du Dr Osvaldo Castro Peraza,
Le chikungunya présente des symptômes plus visibles et plus répandus que les autres arboviroses. Pour 10 à 15 personnes infectées par la dengue, une seule présente des symptômes ; avec le chikungunya, pour 10 personnes infectées, neuf développent la maladie. Cette différence entraîne un nombre important de cas et amplifie les épidémies, qui peuvent se manifester sous de multiples formes, y compris des formes graves.
Il ne s'agit pas d'une maladie qui guérit en sept ou quinze jours, elle poursuit son évolution inflammatoire, affectant les articulations et pouvant potentiellement toucher plusieurs organes.
Symptômes
Parmi les symptômes caractéristiques, la fièvre chikungunya compte parmi les arboviroses les plus aiguës et peut être précédée de douleurs articulaires et accompagnée d'une arthrite invalidante touchant pratiquement toutes les articulations de manière symétrique. Des éruptions cutanées, une conjonctivite et une lymphadénopathie peuvent également survenir dans certains cas.
Un patient atteint de chikungunya doit se reposer car ses organes sont endommagés. Toute activité physique risque de provoquer une arythmie ou un autre accident.
La prise en charge de la maladie repose avant tout sur la responsabilité individuelle : consulter un médecin et éviter toute activité physique pendant la phase aiguë. Lorsque les symptômes articulaires sont moins invalidants, la tendance est de penser qu’on est guéri, mais ce n’est pas le cas.
Evolution clinique
Concernant l'évolution clinique, la phase aiguë s'étend du premier jour à la troisième semaine. Il s'agit d'une période d'inflammation active, nécessitant une surveillance étroite et, dans de nombreux cas, des soins à domicile.
L'hospitalisation est nécessaire pour les personnes âgées vivant seules ou présentant des comorbidités, les nourrissons de moins d'un an, les femmes enceintes et les personnes présentant une fièvre élevée persistante depuis plus de trois jours, une déshydratation modérée ou sévère, une décompensation des comorbidités, des troubles du comportement, une désorientation ou une incapacité à prendre soin d'elles-mêmes.
La phase subaiguë, d'une durée de trois semaines à trois mois, se caractérise par une inflammation articulaire persistante sans symptômes graves. La plupart des patients seront complètement guéris sous trois mois. Même si un petit nombre d'entre eux peuvent développer une forme chronique, avec des douleurs persistantes ou un épanchement synovial.
Traitement
Concernant le traitement, la phase aiguë requiert un repos complet, une hydratation adéquate et le soulagement de la fièvre et de la douleur. Le paracétamol et la dipyrone sont les analgésiques de première intention, tandis que le tramadol est réservé au traitement de seconde intention. Il a précisé que l'aspirine est contre-indiquée et que l'ibuprofène ou les médicaments similaires ne sont pas recommandés à ce stade.
En phase subaiguë, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), comme l'ibuprofène, peuvent être utilisés pendant sept à dix jours. La prednisone peut être prescrite pendant cinq jours à faible dose.
Pour la phase chronique, il a souligné que les soins devraient être assurés par des équipes multidisciplinaires et des rhumatologues, en se concentrant sur la prise en charge de la douleur persistante. Il a ajouté que le virus affecte les nerfs périphériques, et que les vitamines B contribuent à atténuer ces symptômes.

Source : AFP.
Classification clinique
- Chikungunya articulaire : présente les symptômes typiques de la phase aiguë sans complications.
- Chikungunya avec manifestations extra-articulaires : patients qui, en plus de l’arthralgie, développent des symptômes dans d’autres systèmes, comme neurologique, cardiovasculaire, gastro-intestinal, oculaire ou dermatologique.
- Chikungunya grave : moins fréquents, mais de haut risque. Choc, insuffisance organique, hémorragies ou compromis neurologiques graves.
Chikungunya classique (articulaire et extra-articulaire)
La grande majorité des cas (plus de 90 %) se présentent sous forme de fièvre élevée, de douleurs articulaires intenses, d’éruptions cutanées et de symptômes grippaux, sans complications majeures.
Phase aiguë (jusqu’à 3 semaine)
- Fièvre élevée et soudaine (≥ 39°C, durant 2–3 jours).
- Polyarthralgie intense (douleur dans plusieurs articulations).
- Arthrite (inflammation articulaire avec œdème et limitation fonctionnelle).
- Éruption cutanée habituellement maculopapulaire (dans 40–50% des cas).
- Myalgies
- Céphalée
- Conjonctivite non purulente
- Lymphadénopathie
Critères d’hospitalisation, si les symptômes sont différents que ceux précédemment cités :
- Fièvre élevée et persistante de plus de 3 jours d’évolution qui ne répond pas au traitement à domicile.
- Déshydratation modérée ou sévère.
- Compromis de la voie orale.
- Toute altération de l’état de conscience.
- Personnes de plus de 65 ans avec prostration marquée.
- Décompensation de comorbidités chroniques de base : HTA, cardiopathie, diabète mellitus, EPOC, etc.
- Pneumonie ou autre sepsis bactérienne associée.
- Manifestations ou complications extra-articulaires graves (neurologiques, cardiovasculaires, dermatologiques graves).
- Signes d’alarme de choc par Dengue avant la suspicion clinique.
- Conditions sociales.
Phase post-aiguë (3e semaine à 3 mois)
Les symptômes et/ou signes articulaires se maintiennent pendant 2–3 semaines jusqu’à la fin du troisième mois. Peut évoluer de manière continue depuis le début des symptômes ou présenter des périodes sans symptômes de manière intermittente.
Objectif : freiner la progression, la douleur et l’inflammation, ainsi que limiter les conséquences du processus inflammatoire. Disposer de traitements pour la douleur, une assistance psychologique et, si nécessaire, développer des protocoles, équipes et centres pour la gestion de la douleur chronique.
La gestion d’un rhumatisme inflammatoire chronique post-infection doit être effectuée par un spécialiste en rhumatologie, de préférence dans le cadre d’une consultation pluridisciplinaire.
Phase chronique (plus de 3 mois)
Peu fréquente, caractérisée par une douleur, un œdème ou une raideur articulaire pendant plus de trois mois. Peut aussi survenir avec une arthrite chronique. Doit écarter une arthrite d’une autre étiologie inflammatoire.
Objectif : éviter l’évolution potentiellement destructrice, réduire l’impact fonctionnel et psychosocial, ainsi qu’améliorer la qualité de vie.
Traitement selon la classification clinique et la phase de la maladie
Le traitement du Chikungunya est principalement de soutien et symptomatique, car il n’existe pas d’antiviral spécifique.
Prise en charge générale
- Repos en cas d’œdème : retirer bagues et autres bijoux
- Hydratation (éviter la déshydratation) :
- Orale : solutions de réhydratation (SRO) si tolérées. Eau, jus, bouillon.
- Intraveineuse (si critère clinique) : Sérum physiologique 0.9% ou Ringer lactate. Volume ajusté aux pertes.
Traitement
Contrôle de la fièvre et de la douleur articulaire : Antipyrétiques/Analgésiques
- Paracétamol : Dose adulte : 500 mg toutes les 6 heures.
- Metamizol (dipyrone) : Dose adulte : 500 mg toutes les 6 heures.
En général, les anti-inflammatoires non stéroïdiens ne sont pas recommandés. L’aspirine et les stéroïdes ne sont pas recommandés non plus.
Chikungunya grave
Moins de 5 % des cas évoluent vers des formes graves, caractérisées par des complications neurologiques, cardiaques, hépatiques, rénales, ou des hémorragies. Ces formes graves sont plus fréquentes chez les personnes âgées, les nourrissons, les femmes enceintes, et les patients souffrant de comorbidités (diabète, hypertension, maladies cardiaques, etc.).
Manifestations cliniques indiquant un risque accru de progression vers des formes graves :
- Fièvre élevée persistante (plus de trois jours).
- Anorexie extrême ou compromis de la voie orale.
- Déshydratation sévère.
- Asthénie marquée.
- Fatigue et/ou lipothymie.
Symptômes moins communs, mais pouvant être graves :
- Manifestations neurologiques (méningo encéphalite, méningite, syndrome de Guillain-Barré).
- Complications cardiaques (myocardite, arythmies, insuffisance cardiaque).
- Hépatite aiguë.
- Néphropathie.
- Hémorragies.
- Dermatoses graves.
Facteurs de risque de maladie grave par Chikungunya
- Âge extrême : nouveau-nés, nourrissons, adultes de plus de 65 ans.
- Comorbidités chroniques : HTA, insuffisance cardiaque, cardiopathie ischémique, diabète mellitus, obésité, insuffisance rénale chronique, hépatopathies, EPOC, asma grave, maladies du collagène, coagulopathies et hémopathies malignes.
- Immunodépression (VIH/SIDA, traitement aux corticoïdes, anti-TNF, chimiothérapie).
- Grossesse.
- Coinfections : Dengue, Influenza, COVID, etc.

Source : Desmond Boylan (AP)
En conclusion
Même si la propagation du virus Chikungunya a été mal contrôlée par l’Etat cubain dans un premier temps, l’offensive contre le moustique est bien enclenchée et l’épidémie devrait disparaître sous deux mois. En attendant, les visiteurs à Cuba devront utiliser l’anti-moustique durant tout leur séjour et éviter les zones urbaines trop denses en population. Dans le cas d’une contamination, les premiers diagnostics et soins des médecins cubains écartent tout risque délétère.
Cubanía
Cubanía s’efforce de retranscrire, que ce soit par l’image, le son, ou l’écrit, la vie quotidienne de La Havane et de Cuba à un public hétéroclite, curieux, intéressé, souvent non résidents. Toujours en dehors des grands débats politiques, économiques ou des thèmes couramment traités par les médias officiels, Cubanía souhaite au contraire faire témoigner les Cubains de tous les jours, la société dans son organisation actuelle, à travers des lieux, des traditions, des expressions culturelles parfois méconnues.
tous les articles