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Les cabarets de Cuba

Rencontre avec le chorégraphe Tomas Morales Villena

Auteur:
Stéphane Ferrux-Bigueur
Date de publication:
21 mai 2023

La France, et Paris en particulier, est le berceau du cabaret, lieu de fête de musique et de danse de la vie nocturne parisienne durant le 19ième siècle, et que le Moulin Rouge symbolise encore aujourd'hui. Cuba, La Havane, sous l'inflence nord-américaine reproduit largement cette tradition depuis plus d'un siècle. Le danseur et chorégraphe Tomas Morales en a traversé une grande partie de son histoire.

Monsieur Cabaret de Cuba

Né en 1936, Tomas Morales a commencé comme danseur au Tropicanita, un petit cabaret tout près de l’actuel Tropicana, à l’âge de 18 ans. Il ne redescendra des planches qu’à 50 ans, et seulement pour se consacrer à la chorégraphie. Un an plus tard, en 1957, avec Alberto Alonzo - frère de Alicia Alonzo - il fut danseur au Sans Souci autre cabaret de La Havane aujourd’hui disparu. Il fait ses premiers pas au Tropicana en 1958, le temps d’une saison, puis au Parisien de l’Hotel Nacional où il chante et danse. Il part travailler à Miami et lorsqu’il revient la Revolucion avait triomphé !

Bailarines de Tropicana. La Habana años 50

Il s’installe 16 ans au Tropicana ou il chante, danse, réalise les chorégraphies. C’est lui qui dirige le show. La vie de Tomas est entrecoupée par les tournées à l’étranger, les émissions réalisées pour la télévision cubaine et la direction des plus grands cabarets de La Havane. Un des derniers fut le Copa Room de l’hôtel Riviera où il exerça dans les années 80. Il y revint à l’âge de 62 ans, pour ressusciter ce fameux cabaret qui fut converti pendant quelques temps en Palacio de la Salsa. Tomas réalisa pendant 5 ans le spectacle et la chorégraphie du Copa Room, chaque soir, avec l’aide de sa sœur, Maritza Morales. Il revint finalement au Tropicana ou il termina sa carrière. Il est décédé en 2019 à l’age de 82 ans.

Les années Copa Room

Comparé au grand Tropicana, Le Copa Room permet à Tomas de s’exprimer avec une plus grande liberté, ces chorégraphies sont inspirées par des thèmes contenant d’avantage de fantaisie : des histoires vécues issues du monde théâtral, la représentation de La Havane à différentes époques ou encore un spectacle intitulé Viva Ensallo (vive les répétitions), histoire d’amour entre la vedette et un machiniste. Diriger le Tropicana implique des scénarios plus classique pour un spectacle plus « massif ». C'est d'autant plus vrai de nos jours, où les thèmes orientés pour un public touristique se restreignent à la présentation de la « cubania », les stéréotypes caractérisant Cuba.

Bailarinas Cabaret

Les Cabarets d’avant la Revolucion

Ils étaient très nombreux. On faisait déjà la distinction entre les grands centres nocturnes : Tropicana, Parisien, SansSouci, CopaRoom, Salon Rojo de l’hôtel Capri, le Montmartre et les Cabarets de quartier : Alibar où chantait Benny Moré, le Palermo, le Cabaret Nacional le Night and Day, la Sierra, Las Vegas… Les grands cabarets étaient souvent installés dans les hôtels internationaux et leur rôle principal était d’animer les salles de jeux ou les restaurants, toujours situés non loin l’un de l’autre. Le public n’allait pas voir un spectacle cabaret, il allait dîner ou jouer, tout en profitant de l’animation offerte par les danseurs et chanteurs. Comparable aujourd’hui au grands cabarets de Las Vegas.

Quant aux cabarets de quartier, on les compareraient d’avantage à des « night-Club », où le public se rendait pour apprécier un chanteur (de bolero…), danceur (de guaguanco…) ou une vedette en particulier : Benny Moré (el barbaro del ritmo) , Celesté Mendosa (la reina del guaguanco), Rolando Laserie (el guapo de la cansion), Blanca Rosa Gil (bolerista). Le spectacle autour de la vedette ne comportait pas de chorégraphie fastueuse, mais plutôt des extraits de danse typique cubaine ou espagnol, des chanteurs souvent « crooner ».

Benny Moré

A noter l’exception du Tropicana d’avant la Revolucion et quelques temps après, ou se produisaient les plus grandes figures de la musique cubaine et internationale : Nat King Cole, Sinatra, Josephine Backer, Benny More, Liberace, Maria Antonieta pons. On se rendait au Tropicana principalement pour profiter du spectacle et apprécier les grands artistes de l’époque.

Le Cabaret, une tradition française… et cubaine

Après la disparition des ambiances de l’époque américaine à Cuba, les grands cabarets ont continué à présenter des shows imposants, haut en couleurs d’une grande distribution d’artiste. Le public cubain allait au cabaret pour la qualité du spectacle. Le cabaret, troupe de danseuses et danseurs, chorégraphie de haut niveau, costumes délirant, paillettes, etc… s’affirme comme une spécialité cubaine à travers le monde. Après La Havane, seule Paris, Brazil, Miami et Las Vegas se distinguent dans la présentation de tel spectacle.

SansSouci Cabaret

Aujourd’hui à La Havane, les grands cabarets se dirigent principalement à un public étranger. Néanmoins l’engouement pour ce type de show reste important pour le public cubain, et notamment dans les provinces. Les petits cabarets sont souvent le centre nocturne principal des villes. A coté de Cabarets internationaux, nés pour les besoins du marché touristique, survivent les cabarets comme le Nacional de La Vieille Havane, le San Pedro del Mar de Santiago, la Comparcita ou L’Internacional de Varadero, le Cabaret Nocturno de Holguin et le Rumayor de Pinar del Rio. Dans ces derniers le public est 100% cubains, hormis quelques étrangers, les érudits profitant d’une ambiance kitsch à souhait. Même si ces endroits souvent surprenant - mélange d’un délabrement ambiant caractéristique de La Havane et d’une décoration d’origine qui transporte 50 ans en arrière - ne paraissent pas très accueillant au premier abord.

Pourtant, lorsque commence le spectacle, le public reçoit de plein fouet l’image et le son époustouflant de danseurs et chanteurs de haut niveau, professionnel de la fête, remplissant une scène souvent étroite pour l’ampleur de cette démonstration d’enthousiasme et de vie cubaine. En se retournant vers le public, autre surprise : ces fanatiques du rythme, des traditions, et de la culture cubaine confortent l’ambiance. Dès qu’on leur en donnera l’occasion ils se lèveront, tous, iront danser et sans effort se confondront dans une même cadence avec les acteurs du cabaret, formant tous ensemble « LE » spectacle cubain.

Les cigares de Tomas Morales

Tomas Morales fume le Habano depuis l’age de 25 ans. Sa vitole préférée est la Campana que lui réalise un torcedor de confiance. « Le cigare stimule ma création de chorégraphe. Mais il faut que je me sente motivé à travailler pour l’allumer. Et lorsque cela arrive lors des répétitions, les acteurs, danseurs et chanteurs, commentent entre eux que la séance sera difficile… ». Et d’ajouter : « Le cigare me donne la motivation qui se transmet ensuite à l’ensemble de la troupe. Et si l’odeur qu’il dégage est agréable ce cigare me fascinera ».

Tomás Morales

Tabaco verde en flor (Tabac Vert en fleur)

Parmi les numéros du spectacle du Copa Room qui ont marqués les années 2000, Tomas faisait référence au cigare et particulièrement à la plante de tabac, remarquablement représentées par les modèles de la troupe, qui apparaissaient sur scène comme de grandes tiges levant de terre. Ne sont reconnaissables que les feuilles de « Ligero » au sommet de leur tête, puis les « Seco » recouvrant les épaules, mais pas de « Volado », laissant les tiges complètement nues…

Eliseo Grenet inspira Tomas pour la musique de ce numéro, avec sa célèbre chanson « Tabaco Verde ». Elle fut chantée par plus de 500 interprètes, souvent lyrique, bien que trouvant ses origines parmi les chanteurs Campesinos, dans une célébration à la plante qui naît de la terre. C’est la sublimation du tabac, l’incarnation représentée dans cette mise en scène de Tomas Morales : « … et tu seras comme le tabac vert en fleur, un souffle de vie sur une terre en feu et aimée de dieu ».


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