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Les solares imprévisibles de La Havane

L'architecture d'une ville en changement perpétuel

Auteur:
Clara Nuñez
Date de publication:
3 janvier 2023

Les solares, héritage de l’architecture coloniale, constituent l’une des habitations caractéristiques de La Vieille Havane. Plutôt qu’une curiosité architecturale, grâce à leur histoire, les solares sont devenus aujourd’hui des symboles de la culture urbaine de La Havane.

De quoi s'agit-il lorsque les Cubains parlent de solares ? Patrimoine architectural colonial ou culture populaire contemporaine ? Le magazine d'architecture et de design AMANO déconstruit bien le phénomène du solar cubain et illustre comment celui-ci est issu d'un mélange entre héritage colonial et adaptations urbaines contemporaines. Voici l'article et les photos qui capture l'essence même du « solar imprévisible cubain ».

Plutôt qu’une curiosité architecturale, grâce à leur histoire, les solares sont devenus aujourd’hui des symboles de la culture urbaine de La Havane, associés à la surpopulation du centre-ville et à la vie des habitants des quartiers populaires. Cependant, les traces de l’élégance de riches demeures qu’étaient autrefois ces solares résistent toujours au passage du temps. Et c’est précisément cette coexistence du majestueux et du populaire qui les rend si uniques et captivants.

De demeures coloniales à des immeubles multifamiliaux

Vers la deuxième moitié du XIXe siècle, la population de La Havane a triplé, ce qui a provoqué une expansion de la ville au-delà de son enceinte fortifiée. Les plus riches, connus comme sacarocrates ou aristocrates du sucre, souhaitant des températures plus fraîches, et des espaces plus ouverts et intimes que ceux du centre-ville, se sont installés dans la périphérie. C’était l’époque de belles maisons aux influences néoclassiques, pleines de colonnes et de jardins, que les sacarocratesse ont fait construire tout d’abord au Cerro et puis au Vedado, quartiers où l’on peut toujours les admirer.

Au fur et à mesure que les classes aisées quittaient leurs vieilles demeures et palais du centre-ville pour déménager à chaque fois plus à l’ouest, des gens de différentes origines sociales sont venues s’y installer. Les nouveaux propriétaires de classe moyenne ont divisé et sous-divisés les espaces de ces immeubles, à l’origine des maisons individuelles, pour avoir autant de chambres à louer que possible, avec des ouvriers, des immigrés espagnols pauvres, et des anciens esclaves comme locataires.

Cette évolution a changé en solares, les vieilles demeures coloniales construites surtout au début du XIXe siècle. Elles avaient des plafonds très élevés, à plusieurs étages : les plus hauts destinés aux habitations des maîtres et le niveau de la mezzanine à celles des domestiques, ainsi que d’immenses patios autour desquelles les immeubles étaient organisés. La plupart des pièces étaient grandes à l’origine, ce qui a facilité leur transformation. Ainsi, des propriétés conçues pour des familles de 9 ou 10 membres et leurs domestiques, ont été très vite adaptées pour accueillir plus de 50 familles.

Voilà très rapidement décrite l’histoire des origines de ce phénomène, inséparable aujourd’hui de la culture de La Havane ; les solares, des lieux de cohabitation intime, parfois précaires, dont, au départ, tous les habitants devaient partager l’usage de la cuisine, de la salle de bains et des toilettes. Cet emploi du terme solar est particulier aux Cubains, car en espagnol, en architecture, ce mot signifie plutôt terrain inoccupé.

Solar : Il est possible que l’origine du terme soit celui de casa solar ou casa solariega qui, en espagnol, dans les domaines de l’héraldique ou de la généalogie fait allusion à la demeure ancestrale d’une famille noble.

Les solares après la Révolution et l’architecture de survie

Après le triomphe de la Révolution cubaine en 1959, les palais et demeures ayant été transformés en ciudadelas (cités), synonyme de solares à Cuba, ont été expropriées par l’État et leurs habitants sont devenus à long terme, ou bien propriétaires, ou bien usufructuaires non-payants. Pourtant, avec le pic démographique des années 60 dans le pays, la migration des provinces vers la capitale, et d’autres facteurs, le nombre de personnes des solares a augmenté, et leurs conditions de vie et même l’état des bâtiments se sont détériorés.

Comme résultat de la précarité et de leurs besoins économiques, les habitants des solares ont été obligés de développer une architecture de survie de façon complètement intuitive et spontanée, se servant d’habitude de tout type de matériaux, souvent recyclés, qu’ils auraient à portée de mains.

De même, le besoin d’espaces intimes à souvent mené à des changements radicaux de l’architecture original, par exemple : au milieu de ce qui était une chambre, on a installé des barbacoas ; des mezzanines improvisées en bois ou d’autres matériaux, permettant de diviser les grands espaces verticaux en deux et même trois chambres. De petits ponts ou escaliers ont été créés aussi pour permettre l’accès aux nouvelles habitations auxquelles on a ajouté des toilettes, des salles de bains, des cuisines et même de salles de séjour. Ainsi, au fur et à mesure que leurs habitants transforment leurs lieux d’habitation en fonction de leurs besoins, notamment d’espace et d’utilité, les solares sont devenus de véritables labyrinthes d’escaliers, de murs et de fenêtres.

L’éternel des solares de La Havane

De tout ce qui précède résulte une esthétique décadente, où coexistent un état important de détérioration et une énorme capacité de survie à court terme, le tout entouré d’un halo de majesté et d'élégance vétuste, que le temps n’a pas su effacer de la structure : de grands escaliers en marbre, des grilles en fer forgé aux motifs floraux, de portes en bois toujours solides, des planchers décorés de dalles, des portiques énormes, des mosaïques mauresques, des arches semi-circulaires et des vitraux.

L’essence du solar réside donc dans sa versatilité et son adaptabilité à l’immédiat, d’où son manque de structure formelle ou de typologie définie. C’est un reflet de la mentalité même de La Havane, ville qui a toujours su s’adapter aux différentes circonstances. De l’extérieur, ces immeubles semblent éternels et inamovibles, mais à l’intérieur, le visiteur découvrira des mondes bourdonnant d’activité, de solutions impossibles en changement perpétuel.   

traducteur:

Omar González González

AMANO

AMANO est fondé en 2016 comme plateforme multimédia dédiée à l’étude et l’exposition de l’architecture et du design de Cuba. Recherchant les protagonistes et les détails qui nous aident à comprendre la quantité de savoirs, de talents et de travail compris dans le concept du DESIGN CUBAIN, le magazine fait appel aux opinions des spécialistes de l’histoire, de l’actualité et de l’avenir des œuvres et créateurs du design cubain. L’approche multidisciplinaire du magazine—qui aborde le design, l’architecture, la mode, les intérieurs, les arts et les métiers—expose la richesse culturelle de ce secteur qui se réinvente constamment et cherche sa place dans le panorama international. Le magazine veut montrer au monde une facette contemporaine de la culture cubaine très peu diffusée, mais qui a laissé des traces dans l’esthétique des créateurs réputés de l’île, et qui établit les normes dans les nouveaux modèles de business émergents à Cuba. Voir site internet: https://amanoempire.com

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