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Pourquoi les Cubains aiment-ils tant la novela ?

Le feuilleton télévisé, un élément indispensable de la vie quotidienne des Cubains

Auteur:
Indira Rosell Brown
Date de publication:
24 juin 2023

Il est 21h15. Chez Raquel, le brouhaha des enfants, qui refusent de dormir, commence à provoquer une certaine impatience chez les membres de la famille.

Telenovelas en Cuba

Un thème musical se fait entendre à la télévision que tout le monde semble reconnaître. Raquel ordonne soudain : « taisez-vous, la novela va commencer »

Tous fixent leurs yeux sur la télévision et se taisent.

Avec plus ou moins de détails, des scènes comme celle-ci se répètent du lundi au samedi dans presque toutes les maisons cubaines. La programmation alterne entre des télé-novelas produites localement et celles importées du Brésil qui, depuis le début de leurs diffusions en 1983 avec Une femme appelée Malú, font sensation. Selon le Center for Social Research, ce sont précisément ces feuilletons qui remportent les reccords d'audience sur l'île.

Regarder le feuilleton à Cuba est presque un rituel auquel participe une bonne partie de la famille. Chaque soir, les téléspectateurs ont hâte de voir le suspense qui s'est terminé dans l'épisode précédent. C'est un espace "inviolable", dans lequel le débat s'installe généralement.

Telenovelas en Cuba

Dans le bus, en faisant la queue au marché, même en travaillant, les Cubains discutent souvent des feuilletons en cours lorsque les intrigues ont atteint leur paroxysme. Les téléspectateurs s'impliquent si intensément dans les feuilletons télévisés que, selon certains acteurs, les gens n'hésitent pas à les insulter en pleine rue lorsqu'ils ont dû jouer le rôle d’un méchant.

Les enfants sont baptisés avec des prénoms de protagonistes, les virus du moment sont également nommées comme les méchants et les phrases et gestes des personnages les plus charismatiques sont adoptés comme siens. Bien que les spécialistes du sujet classent les télé-novelas comme un genre ne cherchant qu'à faire émerger des émotions et à hypnotiser les masses, à Cuba, elles continuent d'attirer plus d'audience que les programmes d'avant-garde.

Il y a 75 ans un créateur habile sut reconnaitre cette inclination des Cubains pour l'intensité émotionnelle et a jeté les bases du développement de ce genre, encore aujourd’hui si profondément ancré dans la culture nationale.

Cuba a apporté une contribution notable à la télé-novelas.

Lorsque Félix B. Caignet, écrivain et compositeur musical d'origine franco-haïtienne, a conçu le feuilleton radiophonique « El derecho de nacer », le droit de naître, il n'imaginait probablement pas que son œuvre aurait un impact notable sur la consommation culturelle latino-américaine.

Telenovela: "El derecho de nacer"
Telenovela: "El derecho de nacer"

On racontait à l’époque que l'histoire de Caignet était comme un ballon d’oxigène pour la Cuba de 1948, alors plongée dans la guerre des gangs et la lutte des travailleurs pour leurs droits. On dit qu'elle était diffusée du lundi au samedi à huit heures et demie du soir et que toute la population se rassemblaient chez soit ou chez les voisins, pour ne rien manquer des paroles de El derecho de nacer.

Les amours malheureuses, le droit à la vie, l'importance de l'apparence pour les classes les plus aisées, sont les ingrédients du feuilleton radiophonique de Caignet. Il provoqua bien des larmes et les classes les plus humbles se sont vues bien représentées dans l'histoire qui mettait en évidence un serviteur noir exprimant les valeurs humaines les plus nobles.

Des pays comme le Mexique, le Brésil, Porto Rico et l'Équateur ont repris l'histoire de Caignet et l'ont adapté au petit écran. L'Amérique latine et les Caraïbes hispanophones s'identifièrent à El derecho de nacer. Bien que les érudits ne sont toujours pas d’accord sur le fait s'il s'agisse de la première télé-novelas, on peut affirmer que Caignet a su tirer le meilleur parti du goût latino pour le mélodramatique, à tel point que son histoire est considérée, encore aujourd'hui, comme l'une des plus influentes du genre télévisuel dans la région.

Un moyen d'expression

"Le feuilleton n'est pas fait pour réfléchir. C'est l'espace pour ressentir, pleurer et souffrir », a déclaré l'essayiste mexicain Ilan Stavans, spécialiste de la culture latino-américaine, lors d'une interview pour BBC News.

Stavans affirme que, contrairement à d'autres cultures comme l'allemande ou l'anglo-saxonne, qui ont tendance à voiler les émotions, les Latino-Américains entretiennent avec elles une relation unique : « nous gaspillons les émotions. Si nous aimons quelqu'un, nous l'aimons d'une manière démesurée ».

Telenovela: "Un bolero para Eduardo"

Certains voyageurs s'étonnent que dans la Cuba de 2023 le goût pour les feuilletons se poursuive, malgré les nouvelles offres audiovisuelles. L'explication du chercheur Ilan Stavans peut nous aider à comprendre cette inclination.

"On s'embrasse, on se saoule ensemble, on s’évalue continuellement et ce gaspillage, cette surabondance d'émotions, est absolument culturel, c'est dans notre ADN. Je pense que cela vient d'un choc des cultures de plusieurs siècles, issu de la rencontre entre les Européens et les peuples autochtones et qui se reflète dans les feuilletons encore de nos jours.

traducteur:

Editorial Cubania

AM:PM Magazine

Le magazine AM:PM est fondé en 2018 par une équipe jeune qui cherche à renouveler les références locales sur la musique cubaine. Leur projet est multimedia, interactif, social et culturel, focalisé sur l’analyse des phénomènes et des scènes musicaux de Cuba. C'est le premier magazine moderne, à adopter un langage contemporain, entièrement focalisé sur la musique cubaine, malgré le fait que celle-ci est un des éléments sine qua non de l’identité nationale. Par principe, leurs publications reflètent les mutations de la musique cubaine et celles qui y sont liées. Il la met en contexte de l’environnement institutionnel cubain aussi bien que de l’industrie globale du spectacle. Il parie pour une rénovation des thèmes et formes du journalisme musical, pour travailler vers une autre façon de comprendre la culture depuis Cuba. Pour ce faire, il prétend développer une plateforme digitale comme espace à partir duquel générer une série de contenus textuels plus traditionnels comme les reportages, les articles, les entretiens en profondeur et les profils, aussi bien que d’inclure des formats plus contemporains. Voir site internet : https://www.magazineampm.com/

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