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Visite d'un quartier insolite : Regla

À la découverte des quartiers de La Havane

Auteur:
Omar González
Date de publication:
26 mai 2019

Le quartier de Regla, à l’Est de la baie de La Havane, absent des guides touristiques de la capitale cubaine, a pourtant un patrimoine de plus de 300 ans d’histoire et bien de sites intéressants.

La Havane a récement fêté ses 500 ans, rajeunie par l’affluence de visiteurs étrangers et par un important processus de restauration cherchant à lui redonner sa splendeur d’antan. Cependant, les travaux et les touristes ne semblent pas toucher certains quartiers havanais, plutôt populaires, mais riches en histoire, traditions et lieux d’intérêt.

Quartier pauvre, quartier ouvrier, quartier de noirs, voici les idées reçues que plusieurs Havanais se font de Regla, petit quartier situé à l’Est de la baie de La Havane, face au centre historique et au Sud des grandes forteresses espagnoles. Pourtant, il est beaucoup plus que tout cela, avec une histoire et un présent marqués par la foi et surtout la lutte de ses habitants.

La lanchita

La visite de Regla commence avec l’abordage au quai du Muelle de Luz, de la lanchita : une navette qui traverse la baie de La Havane tous les quinze minutes. Pour seulement 20 centimes de peso cubain (1 centime en euros), le visiteur peut non seulement se déplacer mais aussi partager cet instant du quotidien de centaines de Havanais qui utilisent ce moyen de transport. Il est aussi possible de profiter d’une vue unique de la ville, de ses forteresses et de la statue du Christ qui surveille la baie depuis un promontoire situé au quartier voisin de Casablanca.

L’église Notre-Dame de Regla  

A la sortie de l’embarcadère de Regla, on tombe directement sur l’église, dont la structure actuelle a remplacé en 1810 l’ermitage construit vers la fin du XVIIe siècle. Ce temple catholique est consacré depuis son origine à l’adoration de Notre-Dame de Regla, vierge noire espagnole assimilée dans la Santería à Yemaya, déesse yoruba de la mer, à partir du mélange des cultures espagnole et africaines qui donnera naissance aux religions afro-cubaines.

Le même phénomène de syncrétisme fera qu’au début du XIXe, les travailleurs portuaires d’origine africaine fondent à Regla la société sécrète d’entre-aide et de protection mutuelle Abakua, inspirée de confréries de chasseurs de l’Afrique Occidentale. Cette fratrie, ouverte aussi à des initiés blancs à partir de 1863, sera d’abord criminalisée par les autorités coloniales et vue d’un mauvais œil par la société, qui lui attribuera pendant longtemps une réputation de violence et barbarie. Pourtant, de nos jours, les Abakua sont présents et respectés partout à Cuba, même si les stéréotypes négatifs persistent.

Le Lycée 

À l’heure actuelle, autour de l’église actuelle de Notre-Dame de Regla, devenue sainte patronne du quartier et de la baie de La Havane, il existe une chapelle consacrée à Yemaya et un grand fromager, ceiba à Cuba, arbre sacré pour la Santería, le Palo Monte et même les Abakua. On y trouve aussi nombre de vendeurs d’objets de culte et des croyants qui vont déposer des offrandes à Yemaya, Notre-Dame de Regla, dans les eaux de la baie. Ainsi, le 8 septembre, jour des fêtes religieuses du quartier, l’image de la vierge part en procession, portée traditionnellement par des Abakua, dans une cérémonie où s’intègrent des pratiquants de toute confession. 

À quelques rues de l’église se trouve le Lycée artistique et littéraire de Regla, fondé le 6 février 1879 par des intellectuels souhaitant rapprocher la culture aux habitants du quartier. Cette institution qui, malgré son nom, n’a jamais été destinée à l’enseignement, a accueilli dans ses salons non seulement José Martí, héros national de Cuba, mais certains des musiciens les plus populaires du XXe siècle au pays, comme Roberto Faz, Benny Moré et Armando Romeu.

De nos jours, même s’il pourrait bénéficier d’une meilleure intégration au programme de promotion de l’art de La Havane, le lycée reste le centre culturel le plus important de Regla, où se produisent des chanteurs et humoristes populaires, se célèbrent des concours de danse de salon, notamment de salsa, des bals traditionnels, et font leurs répétitions les célèbres Guaracheros de Regla

Musée Municipal 

Si l’on reprend la route et revient à la voie principale de Regla, la rue Martí, on arrive bientôt au musée du quartier, à quelques pas du Parc de Mères et son service de wifi. Le musée, qui porte le nom de l’historien Eduardo Gómez Luaces, se trouve dans une demeure coloniale du début du XIXe siècle, ancien conservatoire de musique. Ses collections comprennent des œuvres d’artistes locaux, des restes archéologiques d’origine amérindienne, des objets de culte afro-cubains, ainsi que des pièces relevant de l’histoire des luttes des habitants de Regla.

Parc Guaïcanamar 

Après avoir pris un goûter ou peut-être le déjeuner au Café la Terraza, tout près du musée, on remonte la rue Martí jusqu’au centre même du quartier : le parc Guaïcanamar, qui porte le nom du village indigène qui y existait à l’arrivée des Espagnols. Le parc, petit et plein de monuments aux héros locaux et nationaux, est juste à côté de petits kiosques de marchands de restauration rapide et d’artisanat.

Autour du parc, se trouvent la mairie de Regla, bel immeuble du début du XXe siècle, le théâtre-cinéma municipal et l’ancien théâtre Céspedes, dont la superbe architecture originale a été malheureusement modifiée.  

Juste à quelques pas du parc, se trouve la Catedral del Batido, cafétéria où l’on peut déguster de délicieux milk-shakes, pour se désaltérer de la chaleur accablante de l’après-midi.

Le cimetière 

Si l’on continue à marcher sur la rue Martí jusqu’au bout, on arrive à la façade blanche du cimetière de Regla, lieu de sépulture de plusieurs figures historiques, notamment des héros et martyrs des guerres d’indépendance et de la Révolution.

Remarquable aussi au cimetière est le nombre de symboles franc-maçonniques sur les tombeaux, statues et obélisques, étant donné la forte présence de la confrérie à Regla depuis le milieu du XIXe siècle et la participation de certains de ses membres dans les différents combats menés par le peuple cubain tout au long de son histoire.

Juste derrière le cimetière se trouve La Colonia, communauté assez défavorisée et l’une des plus affectées par le passage de la tornade en janvier de 2020, où toute action de bénévolat est toujours la bienvenue. 

La colline Lénine

A la sortie du cimetière, à droite, se trouve le pont de El Ahorcado (le pendu), où, au dire des commères, la nuit, les passants risquaient de rencontrer des malfrats ou des apparitions surnaturelles. 

Traversé le pont, on arrive à l’un des points les plus élevés de Regla et la destination finale de notre visite : la colline Lénine. Ce promontoire fut ainsi nommé le 27 janvier 1924, jour des obsèques de Vladimir Lénine à Moscou, lors d’un hommage au leader bolchevique organisée par le maire Antonio Bosch. Un olivier et un monument en bronze et en béton y commémorent la cérémonie et la vie du fondateur de l’Union Soviétique.

L’ascension se fait par étapes grâce à un escalier en pierre. Au sommet, en plus de l’arbre et du monument, on découvre aussi les ruines de ce qui était, il y a juste une décennie, une école maternelle. Mais le plus impressionnant, c’est la vue de l’ensemble du quartier, de la baie et de La Havane, et si on a de la chance, du coucher du soleil sur la ville. 

La vue, l’ambiance, le silence et même les ruines sur ce sommet favorisent la contemplation et la réflexion sur le passé et le présent de Regla et ses habitants, sur tous les autres quartiers oubliés de La Havane, et sur tous les secrets qui restent à découvrir dans cette ville-merveille.


Cubanía

Cubanía s’efforce de retranscrire, que ce soit par l’image, le son, ou l’écrit, la vie quotidienne de La Havane et de Cuba à un public hétéroclite, curieux, intéressé, souvent non résidents. Toujours en dehors des grands débats politiques, économiques ou des thèmes couramment traités par les médias officiels, Cubanía souhaite au contraire faire témoigner les Cubains de tous les jours, la société dans son organisation actuelle, à travers des lieux, des traditions, des expressions culturelles parfois méconnues.

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