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Cigare

L'histoire des lecteurs dans les fabriques de cigares

Une tradition clé dans l'élaboration de cigares de qualité ?

Auteur:
Editorial Cubania
Date de publication / actualisation:
23 mai 2024

Et si le secret de la haute qualité des havanes cubains ne se trouvait pas seulement dans la très grande fertilité des terres de Vueltabajo, ni dans les soins traditionnels des vegueros (planteurs de tabac) ou dans l’habileté manuelle des torcedores (cigariers) mais bien dans une tradition issue du XIXème siècle ?

Lecteur de Tabaquería.
Lecteur de tabaqueria

Cette tradition cubaine se retrouve dans les tabaquerías (fabrique de cigares). En effet, la précieuse feuille de tabac (provenant des vallées de Pinar del Rio et d'autres régions de Cuba) reçoit un ingrédient exceptionnel à la fin de son parcours de transformation : la lecture de romans d’amour et d’aventure.

La lecture, une tradition cubaine

Elle n'est pas née dans les vallées ou dans les tabaquerías, mais bien dans les plantations de café. L'idée est venue du Portoricain Jacinto Salas y Quiroga qui proposa, après un voyage dans l’île en 1839, de lire des textes aux esclaves africains travaillant dans les champs. De cette façon, les exploitants souhaitaient amoindrir « l’ennui de ces malheureux » et les instruire « afin d’alléger leur misère ».

Il nous est impossible de savoir si les propriétaires des plantations ont appliqué cette suggestion. En revanche, ce qui est sûr, c'est que la mise en place de cette tradition est née durant la seconde moitié du XIXème siècle. En effet, chaque après-midi un prisonnier lisait un livre à ses collègues d’infortune après le travail dans les galeries de l’Arsenal de La Havane. Apprenant cette habitude insolite, l’intellectuel cubain Nicolás Azcárate proposa d’élargir cette coutume aux fabriques de cigares. Ainsi, l'idée fut immédiatement acceptée. Le 21 décembre 1865, dans la fabrique El Fígaro située dans l'actuel quartier de Centro Habana, 300 cigariers ont écouté pour la première fois la voix d'un lecteur de tabaquería.

Au-delà de l'anecdote historique, la façon dont les cigariers se sont organisés pour assumer le nouveau travail de lecture s'avère très révélatrice. Dans les premiers temps de son instauration, chaque torcedor donnait une partie de son salaire pour payer le compagnon chargé de lire. En outre, le lecteur était élu par un vote ouvert parmi plusieurs candidats, et devait démontrer ses compétences dans la narration et l'art oratoire.

Marjoris Pupo Vázquez, la lectrice, qui trouve dans la salle torcido un public réceptif et avide de culture.
Marjoris Pupo Vázquez, la lectrice

Durant le XIXème siècle, cette pratique s'implanta difficilement car la majorité des tabaqueros sympathisaient avec les indépendantistes cubains. Ce qui provoqua des interdictions des autorités espagnoles à plusieurs reprises afin d'empêcher de « distraire les ouvriers des fabriques, des ateliers et des établissements de toutes classes avec la lecture de livres et de journaux, ou de toutes discussions étrangères au travail que ces derniers effectuent ».

Lorsque les fabriques sont passées aux mains de l’État après la Révolution de 1959, des « commissions de lecture » ont été instaurées afin de choisir les textes. Le gouvernement cubain de l’époque a rapidement compris que cette tradition pouvait être un moyen de gestion politique des masses.

Hugo et Dumas dans un Havane

Bien qu'étant majoritairement analphabètes, les tabaqueros cubains du XIXème siècle et du XXème siècle, appréciaient les classiques de la littérature européenne. Cette tradition a été déterminante dans l’histoire de plusieurs célèbres marques de Havanes.

Il est probable que Miguel de Cervantes, Victor Hugo, Alexandre Dumas et William Shakespeare n’aient jamais eu autant de lecteurs passionnés que ces travailleurs. Dans le Cuba des années 1800, Les Misérables, Notre-Dame de Paris, Le Comte de Montecristo, Roméo et Juliette sont devenus des best-sellers de premier plan dans les fabriques cubaines. En conséquence, deux des marques les plus reconnues des Havanes, Montecristo et Romeo y Julieta se sont nommés en rapport aux textes du même nom, mille fois lus dans les tabaquerías.

Une rumeur raconte que cette tradition si particulière aurait traversé l'Atlantique et serait arrivée aux oreilles de Victor Hugo. En réponse, l'écrivain français aurait écrit une lettre de remerciements aux tabaqueros de la fabrique Partagás et aurait manifesté sa sympathie à la cause des rebelles cubains lorsque la guerre d'indépendance de 1868 a éclaté.

La profession de tabaquero est l’une des plus appréciées dans l'île. Même, Compay Segundo, l’illustre fondateur du Buena Vista Social Club aurait affirmé lors d’une entrevue : « C'est la meilleure profession du monde, la seule où tu lis pendant que tu travailles. » Finalement, plus de 150 ans plus tard, les cigares cubains continuent d'être fabriqués au rythme des romans policiers, des histoires d'amour ou de l'actualité internationale.

                                                                                                                                       


Cubanía

Cubanía s’efforce de retranscrire, que ce soit par l’image, le son, ou l’écrit, la vie quotidienne de La Havane et de Cuba à un public hétéroclite, curieux, intéressé, souvent non résidents. Toujours en dehors des grands débats politiques, économiques ou des thèmes couramment traités par les médias officiels, Cubanía souhaite au contraire faire témoigner les Cubains de tous les jours, la société dans son organisation actuelle, à travers des lieux, des traditions, des expressions culturelles parfois méconnues.

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