Lutgardita : un ambitieux projet de quartier industriel
À la découverte des quartiers de La Havane.
Lutgardita est un quartier surprenant. Son architecture presque centenaire suscite encore une certaine admiration chez ceux qui la visitent.
Des maisons soigneusement conçues, de vastes espaces verts et un bloc d'usine délabré témoignent de l'endroit prospère qu'il était autrefois. Mais le site est bien plus que cela : il a imprimé le caractère industriel qui caractérise la commune de Boyeros.
L'essor économique des années 40
Gerardo Machado, le cinquième président de la République de Cuba fut le principal promoteur de la construction de Lutgardita, partie importante d'un ambitieux plan de travaux publics. Le président voulait diversifier l'industrie cubaine, créer des écoles et des emplois. Durant sa présidence, il a également été proposé de construire des œuvres monumentales pour promouvoir le tourisme dans la nation. Il voulait faire de Cuba, selon ses propres mots, la « Suisse des Amériques ».
« Machado ne voulait que conserver le pouvoir », disent certains historiens, en référence au plan de travaux publics qu'il promut. D'autres considérèrent qu'il fut encouragé par les principes de la franc-maçonnerie, à laquelle il appartenait, et qui le condamna plus tard pour avoir fait de son second mandat, une tyrannie. Mais la vérité est que, quelles que furent ses motivations, Lutgardita participa à faire prospérer la nation.
Les fermes Doña Juana et Santa Rita, propriétés du président et de sa fille Berta, ont été urbanisées pour construire le quartier. Evelio Govantes et Félix Cabarrocas, également responsables d'œuvres telles que le Musée national des beaux-arts et le Capitole, étaient chargés de créer ce qui serait considéré comme le deuxième quartier ouvrier de Cuba et le premier du genre en Amérique latine.
Après trois ans de travail acharné, Lutgardita a été fondée le jour des Rois Mages en 1929 dans ce que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de municipalité de Boyeros. Son nom a été choisi par Machado pour honorer sa mère Lutgarda Morales.
L'entreprise Govantes y Cabarrocas a fait de la villa un beau produit urbain et architectural qui se distingue par ses maisons de finition rustique et les arcs de ses portails. Le quartier était également reconnu pour ses vastes espaces verts où l'ingéniosité du peintre paysagiste français Jean Claude Forestier, invité par Machado à embellir La Havane, pouvait être perçue. De plus, plusieurs grandes maisons et palais appartenant aux familles les plus riches de la ville ont été érigés dans le quartier.
Des centres éducatifs, un théâtre, des routes et des moyens de communication, un hôpital et plusieurs usines faisaient également partie du quartier ouvrier. Ce dernier aspect eut une grande importance dans la construction du quartier. Le but était de créer une localité industrielle éminente.
Vers une industrialisation intensive... et paritaire
La fabrique de tuile La Majolica était la seule usine de la municipalité de Rancho Boyeros, jusqu'à ce qu'en 1928, Lutgardita commence à ajouter diverses installations de fabrication. Cinq industries ont été construites dans les secteurs de la transformation des métaux, de la fabrication de peinture, du textile, de la raffinerie d'huile de palmiste et de la fabrication de chaussures.
En 1932, la commune comptait six usines qui donnaient la personnalité industrielle qui caractérise la commune. À cela s'ajoutait l'avenue Rancho Boyeros qui permettait le transport des produits vers la capitale. Le long de cette autoroute, des usines seraient érigées dans les années suivantes qui ont été reconnues comme patrimoine industriel de la nation.
Un fait remarquable dans le fonctionnement des usines Lutgardita était l'emploi de la main-d'œuvre féminine. Sur les 450 travailleurs que comptait la Shoe Company, 200 étaient des femmes. Quelque chose de similaire s'est produit à l'entreprise de vêtements Cuba Silk, où plus de 75 % de ses employés étaient des femmes.
Autres institutions notables
L'année de l'ouverture du Grand Rex à Paris, un autre théâtre a été fondé à Cuba, Lutgardita, considéré comme une perle rare dans l'architecture de l'île.
En 1932, lors de son ouverture, les théâtres d'ambiance, où les spectateurs ont la sensation d'être en plein air, sont devenus à la mode. La décoration du théâtre imitait la voûte céleste : il y avait des jeux de lumières qui imitaient les étoiles et un mécanisme qui faisait bouger les nuages et la lune. L'extérieur voûté du théâtre rappelait les studios Paramount Pictures, que Lutgardita représenterait sur l'île. La décoration de l'enceinte comprenait des motifs mayas : des jaguars, des serpents et des oiseaux colorés apparaissent à l'intérieur.
Le théâtre a subi une grande détérioration durant de nombreuses années jusqu'à ce qu'il soit réparé en 2011. Bien qu'il soit toujours en activité, il ne remporte pas le succès qui le caractérisait à l’époque.
Le quartier de Lutgardita s'est également distingué par une activité éducative importante destinée aux enfants et aux jeunes des familles les plus pauvres de La Havane et du reste du pays. L'enseignement technologique y était privilégié, ainsi une école technique industrielle pour les garçons et une école similaire pour les filles ont été créées. On peut encore voir les monuments et bustes conçus par les élèves de l'époque.
Un héritage toujours vivant ?
Aucune des usines construites à Lutgardita n'existe aujourd'hui. Seules subsistent les installations présentant un degré de dégradation élevé. Pourtant, le quartier populaire semble avoir tracé la voie définitive vers l'industrialisation de la commune de Boyeros.
La ville abrite plus de 180 entreprises dans divers secteurs productifs. Après l'agrément récent des micro, petites et moyennes entreprises (MPME), Boyeros apparaît comme la deuxième municipalité avec le plus grand nombre d’entrepreneurs. Les nouvelles MPME se développent aussi bien dans les domaines traditionnels, comme la production d'articles en bois ou de chaussures, que dans les domaines les plus innovants tels que la création de drones de nouvelle génération, participant ainsi à la transformation actuelle de l'industrie cubaine.
Les nouvelles entreprises, malgré les multiples obstacles auxquels elles doivent faire face dans une société socialiste comme celle de Cuba, cherchent des alternatives pour se développer. Peut-être sont-ils les héritiers du même objectif qui a encouragé l'émergence de Lutgardita : donner à Cuba une véritable place dans l’économie régionale et même peut-être mondiale ?
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Le magazine AM:PM est fondé en 2018 par une équipe jeune qui cherche à renouveler les références locales sur la musique cubaine. Leur projet est multimedia, interactif, social et culturel, focalisé sur l’analyse des phénomènes et des scènes musicaux de Cuba. C'est le premier magazine moderne, à adopter un langage contemporain, entièrement focalisé sur la musique cubaine, malgré le fait que celle-ci est un des éléments sine qua non de l’identité nationale. Par principe, leurs publications reflètent les mutations de la musique cubaine et celles qui y sont liées. Il la met en contexte de l’environnement institutionnel cubain aussi bien que de l’industrie globale du spectacle. Il parie pour une rénovation des thèmes et formes du journalisme musical, pour travailler vers une autre façon de comprendre la culture depuis Cuba. Pour ce faire, il prétend développer une plateforme digitale comme espace à partir duquel générer une série de contenus textuels plus traditionnels comme les reportages, les articles, les entretiens en profondeur et les profils, aussi bien que d’inclure des formats plus contemporains. Voir site internet : https://www.magazineampm.com/
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