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La Havane : Et après les 500 ans ?

Quelques conseils urbanistiques pour penser l'avenir de La Havane

Auteur:
Carlos García Pleyán
Date de publication:
27 novembre 2019

Après les célébrations, les feux d'artifice, le faste et les discours du 500e anniversaire de La Havane, quels sont les priorités et les objectifs ? Quelle est la politique de la ville, à moyen et long terme ? Et quelles sont les transformations à envisager ?

Carlos García Pleyán est un professeur et sociologue cubain reconnu. Il a consacré une grande partie de sa carrière aux questions d'urbanisme et d'aménagement du territoire. Dans cet article, publié initialement dans la revue OnCuba, il livre une analyse des principaux problèmes urbains auxquels La Havane est confrontée. Au-delà des constats et d'un appel à l'action, ce chercheur propose ici quelques solutions en vue de « secourir » la ville et d'envisager un avenir meilleur pour « notre Havane ».

Après de nombreuses années de négligence et d'abandon, le 500e anniversaire de La Havane a motivé un programme de rénovation qui comprend toute une batterie de réparations, liftings ou légères retouches. Dans la majorité des cas, il s'agit d'une sorte d' « acupuncture » urbaine qui, à travers une multitude de petites interventions dans les écoles, épiceries d’État, logements, parcs, etc., a concerné pratiquement tout le tissu de la ville.

Cela a été dit et redit : le programme du 500e anniversaire n'est pas censé être une fin en soi, mais plutôt le point de départ d'un processus, attendu depuis longtemps, de restauration de La Havane. Mais peu de gens, s'il en est, connaissent vraiment le contenu, les objectifs et les méthodes du Plan d'urbanisme de la ville, récemment approuvé. 

Stimuler une culture urbaine en pensant à l'avenir de la ville

Pendant la première moitié du XXe siècle, la ville de La Havane a capté une bonne partie des investissements immobiliers du pays – avec 20 % de la population de Cuba, la ville concentrait alors 50 % des logements construits. Après le triomphe de la Révolution en 1959, cette proportion s'est inversée, au nom d'un rééquilibre territorial, et la capitale n'a plus reçu que 10 % de ces investissements, soit la moitié de ce qui lui correspondait.

Le mauvais état actuel des infrastructures et le fonds immobilier de la ville devraient inciter à rejeter toute stratégie trop passive, au risque de perdre ce qui fait de La Havane le principal centre de culture, de connaissances, d'emplois et de patrimoine du pays. Étant donné l'absence d'une politique de la ville réellement transparente, il semble urgent de mettre sur la table quelques idées qui pourraient inciter à la réflexion et au débat public, afin de construire des consensus et éventuellement influencer la prise de décisions, en vue d'encourager une véritable culture urbaine.

Encourager une économie créative

Avec la crise des années 90, c'est toute l'industrie qui s'est effondrée, provoquant une perte massive dans la production, les installations et l'emploi. On peut se demander s'il est logique de prioriser l'effort pour reconstruire et récupérer ce qui a été perdu. Est-il vraiment pertinent que cet effort se concentre avant tout sur le tissu urbain ? De nos jours, les villes, après deux révolutions industrielles - celle de la machine à vapeur puis de l'électricité-, ont peu à peu évolué vers un modèle post-industriel, fondé sur les services et l'information, la connaissance et la créativité. Mais à La Havane, sur quelles matières premières, sur quelle niche technologique, ces supposées industries pourraient-elles s'appuyer ? 

Ne serait-il pas plus judicieux de profiter de l'énorme réserve de culture et de connaissances du peuple cubain, de stimuler sa créativité, aussi bien dans le domaine des « industries culturelles », les arts et le divertissement, que de l'économie dite « de la connaissance », basée sur l'éducation et la recherche ?

Cette économie créative pourrait constituer la base du développement futur de la ville. Elle exige des investissements matériels moins lourds et produit une plus grande valeur ajoutée que celle des industries traditionnelles. Moins polluant, ce modèle résiste mieux aux crises économiques et il est susceptible de rendre moins dépendant des importations. Et, surtout, les avantages comparatifs de Cuba sont extraordinaires.  

Stimuler et soutenir ce type d'économie semble être un axe de réflexion pour l'avenir, avec comme corollaires l'actualisation du cadre légal, par exemple, sur les droits d'auteur et institutionnel - la très attendue légalisation des PME-, l'amélioration de l'accès à Internet et une meilleure ouverture à l'export et aux marchés mondiaux.

Densifier la ville

Autre problème à résoudre pour La Havane : l'efficacité dans son fonctionnement au quotidien. Chaque jour, un million de Havanais perdent au moins deux heures de leur vie dans les transports. Le parc automobile est insuffisant, certes, mais la difficulté principale reste l'extension galopante de la ville et les distances importantes que les habitants doivent parcourir. Une meilleure répartition territoriale de l'emploi et des services est également une priorité.

On sait que les villes à haute densité sont également celles où le coût du fonctionnement quotidien est le plus bas. Une consommation moindre en termes de surface par habitant implique moins de kilomètres de rues et d'infrastructures à construire. Et l'économie obtenue ne concerne pas seulement les coûts d'investissement ou de construction, mais aussi les dépenses liées au fonctionnement - le carburant pour les bus, par exemple -, à l'entretien ou aux travaux de rénovation.

La Havane est une ville très étendue, à basse densité, avec de longues distances à parcourir. Toute action en vue de la densifier ou, à minima, de contrôler son extension, permettrait d'économiser du temps et de l'argent. Une réduction des dépenses loin d'être anecdotique. Il serait judicieux de lancer un programme d'ampleur afin de mieux exploiter les innombrables espaces vides, bâtiments à l'abandon et autres installations désaffectées et, ainsi, stopper l'extension de la ville par rapport à son centre.

L'idée est d'éviter la prolifération de communes à la périphérie. Et, si nécessaire, pourquoi ne pas créer un impôt sur les immeubles ou terrains inutilisés, surtout par les organismes d’État ?

Développer et intégrer les quartiers de La Havane, socialement et culturellement

L'équité et la justice sociale sont des thèmes chers à la Révolution cubaine. Il reste toutefois beaucoup de choses à faire à La Havane. Ces dernières années, non seulement la situation s'est aggravée pour les groupes sociaux les plus vulnérables : personnes âgées, immigrants, population noire, mais on a également vu le nord et le sud de la ville s'éloigner, un déséquilibre chaque fois plus prononcé. 

Au nord, il y a la Havane côtière, une bande qui va de la Vieille Ville jusqu'au quartier de Miramar et qui ne dépasse pas un kilomètre de longueur. Cette zone, qui compte environ 400 000 habitants, est la vitrine de La Havane, celle que tout le monde connaît et qui domine l'imaginaire urbain quand on se représente la ville.

Mais derrière cette façade, il y a une autre Havane, lointaine et presque invisible, plus profonde. Cette éternelle oubliée abrite pourtant quatre fois plus d'habitants que la zone côtière, soit 1,7 million de personnes. Eux aussi sont des Havanais.

S'il est vrai que ces quartiers sont tout aussi bien dotés en écoles, épiceries d'Etat, médecins de famille ou polycliniques, ce n'est pas le cas en ce qui concerne les universités, galeries, bars, théâtres ou musées, hôpitaux et autres services d'importance. Quel touriste peut dire aujourd'hui qu'il connaît le Cerro, la Víbora, Santos Suarez ou Marianao ?

Si les habitants du sud de la ville sont tout aussi Havanais que ceux du nord, il est clair qu'ils méritent un programme qui permette de les intégrer dans des activités citoyennes et de préserver leur histoire, le patrimoine et les monuments de leur quartier, leurs parcs, les bâtiments d'intérêt, etc., tout en facilitant leur connexion avec la Havane côtière.

Mettre en place une politique de logement adaptée

Une politique du logement a été adoptée récemment, mais le problème reste chronique. On connaît quelques volets du programme mis en place : d'abord, des crédits et des subventions pour ceux qui construisent eux-mêmes leur logement. Ensuite, un recours privilégié aux matériels locaux. Enfin, l'objectif affiché de construire un logement par jour dans chaque municipalité. Mais, là encore, la spécificité de La Havane est oubliée. En effet, le type de logement « auto-construit » évoqué correspond beaucoup plus aux réalités rurales qu'à l'environnement urbain... 

Cette ville a besoin d'un tissu urbain densifié, ce qui passe par une politique spécifique à La Havane, avec des logements sociaux de type locatif construits par l’État et des autorisations pour des coopératives de logements. Sur ces sujets, une politique de type national semble inadaptée à de nombreux égards.

Un logement par jour dans chaque ville : cet objectif chiffré privilégie les communes les moins peuplées, au détriment des grands pôles urbains. Par exemple, cela signifie que dans les différentes municipalités qui font partie de La Havane, on construit seulement une moyenne de 2,6 logements par an et pour mille habitants. Alors que dans une commune voisine comme Mayabeque, ce rapport est de 10,6.

Par ailleurs, la décision d'autoriser l'achat-vente de logements, en d'autres termes, la création d'un marché immobilier, a changé la donne sur certains points. Le secteur est clairement segmenté en deux parties : l'une avec des investissements élevés et l'introduction de capitaux étrangers, et l'autre, nationale, avec des prix plus bas. Un marché surtout localisé sur la capitale, et plus particulièrement au nord de la ville.

On assiste déjà à un phénomène de gentrification dans certains quartiers et le manque de réglementation suffisante pour ce type de marché se fait sentir. Il n'y a pas d'information publique sur les différentes transactions et la législation concernant les terrains est ambiguë. Quant aux estimations et évaluations, elles ne sont pas mises à jour et les outils fiscaux mériteraient d'être complétés.

Une nouvelle politique du logement, spécifique à la capitale, est indispensable. Peut-être faut-il aussi prendre en compte les particularités de chaque capitale régionale de l'île. Et si cette politique existe, pourquoi n'est-elle pas rendue publique ?

Pour un développement touristique intelligent et durable

Le débat a pris de l'ampleur ces dernières années et devrait probablement se convertir en sujet central pour la ville : comment gérer son avenir en tant que destination touristique et sa proximité avec un énorme marché,  comme les États-Unis, jusqu'à présent inaccessible.

Aussi bien dans le public que dans le privé, la ville s'y prépare progressivement, alors que, dans un avenir pas si lointain (2025?), le phénomène pourrait exploser. Beaucoup se frottent les mains en imaginant les possibles bénéfices, mais peu de Havanais sont préparés aux coûts énormes que cela pourrait représenter pour les citoyens qui ne profiteront pas directement de la manne du tourisme.

Il suffit d'observer les conséquences néfastes du tourisme dans certaines villes comme Barcelone ou Valence, où les habitants n'hésitent pas désormais à manifester leur hostilité face à cet afflux, parfois violemment, aux cris de « turists go home ! ». Dans la ligne de mire des locaux : une ville plus sale, la hausse du prix des transports et des logements, l'augmentation du coût de la vie. Sans compter les expulsions de résidents visant à multiplier l'offre de logement touristique. 

Est-ce que cela serait-il souhaitable pour La Havane ? Actuellement, l'impact du tourisme reste bas, mais le potentiel est énorme – il suffit d'imaginer l'attrait que peuvent représenter des kilomètres de côte, progressivement libérés, sur la baie de La Havane. Un large débat public est nécessaire, avec toutes les informations disponibles. Objectif : dégager un consensus citoyen sur les moyens de gérer ce processus lors des prochaines années – avant qu'il ne soit trop tard.

Améliorer la gouvernance de la ville : structure institutionnelle et culture de l'administration publique

Enfin, le thème crucial de la gestion de la ville. Les dispositions établies par la nouvelle Constitution cubaine ont relancé un vieux débat, tout en le rendant plus complexe. Cela fait déjà un moment que, dans les médias une double transformation est demandée – la décentralisation des compétences et ressources allouées aux instances locales, ainsi qu'une modernisation de l'administration.

La nouvelle Constitution défend l'autonomie des municipalités. Mais encore une fois, les solutions générales ne sont pas adaptées aux cas particuliers. Même si La Havane est composée de quinze « municipalités », beaucoup de ses problèmes relèvent de son statut de métropole. Le trafic automobile, la distribution de l´énergie et de l'eau ou l'enseignement universitaire, par exemple, ne peuvent pas être gérés à l'échelle des municipalités.

La nécessité d'une réflexion sur le caractère institutionnel d'un gouvernement métropolitain et de la division politico-administrative est évidente. Va-t-on continuer à administrer La Havane par municipalités, conseils populaires, districts ou quartiers ? A quel échelle auront lieu les échanges entre l'exécutif et les représentants populaires ? À quel niveau se noueront les liens entre l'administration et les citoyens ? 

D'autre part, la nécessité de moderniser l'administration publique, pour la rendre plus efficace et plus proche du citoyen, est désormais une revendication universelle. Son informatisation progressive a commencé, avec des registres automatisés, un portail du citoyen, une administration électronique, un guichet unique, etc. Mais le débat va bien au-delà.

Au niveau des agents publics, un changement culturel est indispensable : leur fonction n'est pas de dire non à tout, mais bien d'aider les citoyens. Tous sont des serviteurs publics, depuis le gouverneur jusqu'à la réceptionniste de la Direction du logement municipal, en passant par l'inspecteur de l'Aménagement du territoire. Sans doute devront-ils « désapprendre » beaucoup de choses, peut-être faudra-t-il améliorer leurs conditions de travail et augmenter les salaires, les former à de nouvelles compétences.

Il est possible que tous ces sujets ne soient pas les seuls auxquels devront faire face les Cubains, mais une fois passées les célébrations des 500 ans, et  peut-être sera-t-il alors temps de réfléchir et de débattre sur la vie qui continue. Afin que La Havane soit réellement « à moi, à toi, à nous ».

Sur l'auteur : Carlos García Pleyán est un professeur et sociologue cubain reconnu qui a consacré une grande partie de sa carrière aux questions d'urbanisme et d'aménagement du territoire.

traducteur:

Grégory Noirot

OnCuba

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