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Un rhum nommé Havana Club, une erreur culturelle ?

Une authentique boisson cubaine pour séduire le marché nord-américain

Auteur:
Indira Rosell Brown
Date de publication:
20 mars 2023

Reconnue pour sa qualité et sa capacité à véhiculer les traditions cubaines, la marque déconcerte par son nom en anglais. Pour une boisson aussi authentiquement cubaine, une anglicisation du nom était-elle absolument nécessaire ?

Descripción de la imagen.Un hombre degustando ron Havana Club
Degustación con ron Havana Club International.

Les boissons sont associées à des moments, des personnes, des lieux. Elles peuvent nous révéler les coutumes d'un peuple et même sa façon d’être. Havana Club, une expression exquise du rhum léger cubain, est l'un de ces spiritueux capables de nous transmettre des traditions qui remontent à cinq siècles.

La naissance du rhum

C'est précisément au XVIe siècle que se situe la genèse du rhum cubain. Grâce à la canne à sucre, introduite par les navigateurs espagnols, la boisson qui sera plus tard étroitement liée à l'identité cubaine, devint très populaire.

On pensent que ce sont les esclaves noirs, amenés sur l'île pour travailler dans les plantations de canne à sucre, qui ont élaboré l’ancêtre de la boisson. De la graminée qu’est la canne à sucre, ils extrayaient le guarapo (jus de canne) qu'ils fermentaient ensuite pour obtenir une boisson alcoolisée au goût prononcé. Avec l'introduction des centrales sucrières, équipées d’alambics très rudimentaires, ils commencèrent à distiller cette boisson pour obtenir une aguardiente, contraction de agua ardiente, eau ardente, littéralement eau-de-vie.

Degustacion ron Havana Club.

Eau de vie, eau des esprits

Le spiritueux est rapidement devenu populaire parmi les esclaves : il est utilisé comme stimulant pour supporter le travail exténuant des plantations, le compagnon idéal pendant les quelques instants de loisirs et l'élixir pour honorer leurs dieux.

La religion Yoruba, largement pratiquée sur l'île, entretient une relation étroite avec l'aguardiente. En Afrique, les femmes et les hommes accomplissaient leurs rituels avec du vin de palme, mais devant l'impossibilité de s'en procurer à Cuba, les esclaves utilisèrent la boisson offerte par la canne dans leurs cérémonies.

Pour soulager des maux et faire la fête

L'aguardiente était si profondément enracinée dans les coutumes cubaines qu'elle a rapidement été utilisée dans la médecine populaire traditionnelle, dans la prévention de la fièvre jaune, le soulagement des douleurs musculaires et articulaires. Ce fut également l’antiseptique indispensable des soldats pendant les Guerres d'Indépendance.

Dans les campagnes cubaines, cet alcool était également la bienvenue pour animer les guateques, fête paysanne traditionnelle. En raison de son faible coût et de sa valeur stimulante, sa consommation augmenta rapidement, devenant l'allié idéal dans la douleur comme dans la gloire.

De l’aguardiente au rhum

L’aguardiente était l’alcool des pauvres. Les riches propriétaires quant à eux consommaient du rhum de la Jamaïque, de la Barbade et de la Guyane. Mais au milieu du XIXe siècle Cuba importa la technologie de l'alambic à colonne qui permettait de distiller l'alcool deux fois en continu, alors que les alambics utilisés jusqu'alors n’effectuaient qu'une seule distillation. Léger et doux, le rhum émergea de cette expérience.

À partir de ce moment, le nouveau spiritueux commença à supplanter ceux importés de la région, le nombre de distilleries dans le pays augmenta et provoqua la naissance de marques de rhum emblématiques telles que notre protagoniste : Havana Club.

Quand la tradition fut mise en bouteille

Le jeune Espagnol José Arechabala débarqua à Cuba en 1863 en quête de prospérité sur une île devenue symbole de progrès. Là, l'attendait un riche parent qui l'employa dans l'activité liée à la canne à sucre. Arechabala, au caractère audacieux, accumula très vite une petite fortune qui lui permit d'acheter un alambic dans la ville occidentale de Cárdenas. C'est ainsi qu'est née La Vizcaya : une centrale sucrière et une distillerie qui produirait les boissons cubaines par excellence : le brandy et le rhum.

Día. Exterior. Vista de la barra del bar Havana Club con cantinero y hombre sentado a la barra. Mujer sentada de lado
Bar Habana Club dans la province de Guantánamo dans l’est de Cuba.

La Vizcaya a contribué à perpétuer le goût des spiritueux cubains qui, avec ceux de la marque Bacardi, ont envahi les nuits festives de La Havane et ont également fait fureur à 90 milles au nord de l'île, à Miami. Introduit clandestinement aux États-Unis pendant la Prohibition, le rhum cubain est devenu la boisson de choix des Américains assoiffés.

C'est dans ce contexte que La Vizcaya change son nom en J. Arechabala S.A. et prépare le lancement d'un nouveau spiritueux. La société depuis 1933, anticipant la fin de la prohibition, s'était engagée dans une étude de marché méticuleuse qui permettrait de positionner l’authentique rhum cubain aux États-Unis. Un an plus tard, l'entreprise lance Havana Club pour lequel une orthographe anglaise est choisie, Havana au lieu de Habana, avec la claire intention de conquérir la clientèle américaine.

Une boisson aux profondes racines cubaines.
Une telle authenticité cubaine avec un nom en anglais, était-ce vraiment nécessaire ?

Le rhum cubain circulait aux États-Unis avant la Prohibition. Lorsque la loi interdisant la production et la consommation d'alcool entre en vigueur en 1920, le spiritueux créole parvint entre les mains de contrebandiers.

Dans les années 1920, Cuba était le meilleur endroit pour les Américains réticents à arrêter la fête. Un grand nombre de touristes s'envolaient quotidiennement de la Floride et de l'Ohio pour goûter aux rhums cubains.

Les cabarets, les cocktails, les jeux de hasard et la musique ont fait la renommée de Cuba à cette époque. L'île était reconnue parmi les Américains comme « la patrie du rhum ». Pendant ce temps, de nombreux barmans au chômage en raison de la « loi d'interdiction » trouvèrent du travail à Cuba, et les propriétaires de bars, face à la débâcle qui frappa l’activité, déménagèrent leurs établissements à La Havane.

La culture cubaine n’était pas du tout étrangère aux Américains. Mojito, Daiquirí, Presidente, résonnaient parmi les touristes ravis de goûter aux plaisirs des Caraïbes. Quand Havana Club est né, le rhum créole était à la mode et La Havane était considérée comme le « Paris des Caraïbes ».

Pour ces raisons, il est déconcertant que la marque, qui était destinée à projeter l'identité cubaine, n'ait pas été baptisée d'un nom en espagnol. Surtout, alors qu'elle avait été conçue pour entrer sur un marché où les rhums cubains jouissaient d'une grande réputation et où la culture du pays des Caraïbes était admirée et connue.

La nature exquise du Havana Club depuis sa création est incontestable, tout comme son lien très étroit avec la culture cubaine. C'est précisément la qualité et le lien avec les traditions les plus authentiques qui ont placé la marque parmi les favoris du genre. Mais son nom écrit en espagnol, la langue maternelle à laquelle il appartient, aurait reflété plus authentiquement les origines dont il est si fier.

traducteur:

Stéphane Ferrux-Bigueur

Cubanía

Cubanía s’efforce de retranscrire, que ce soit par l’image, le son, ou l’écrit, la vie quotidienne de La Havane et de Cuba à un public hétéroclite, curieux, intéressé, souvent non résidents. Toujours en dehors des grands débats politiques, économiques ou des thèmes couramment traités par les médias officiels, Cubanía souhaite au contraire faire témoigner les Cubains de tous les jours, la société dans son organisation actuelle, à travers des lieux, des traditions, des expressions culturelles parfois méconnues.

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