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Diana Figueroa, relever le défi du double emploi

Être entrepreneur dans le secteur de la restauration à Cuba

Auteur:
Ailén Rivero Hernández
Date de publication:
2 septembre 2019

Beaucoup de Cubains ont plusieurs emplois mais lorsque l'on est scientifique, on dispose de généralement peu de temps. Diana parvient malgré tout à concilier sa passion pour la science - à l'Université de La Havane - et celle pour la cuisine - au Jíbaro - tout en connaissant le succès dans ses deux activités.

Diana devant son restaurant Jibaro's

Diana Figueroa del Valle est ingénieure en physique nucléaire ; titulaire d'un doctorat en Physique, elle est professeure à l'Université de La Havane mais elle est aussi cheffe au restaurant Jíbaro qu'elle a créé. Il y a plusieurs femmes en Diana qui, de sa voix douce et posée, avoue cacher beaucoup de stress que seule la passion de faire ce qu'elle aime vient compenser.

Travail à son compte à Cuba

Le salaire moyen à Cuba suffit difficilement à satisfaire les besoins de base des Cubains. C'est pourquoi lorsqu'il y a moins de dix ans, le gouvernement cubain a légiféré pour rendre plus flexible le travail dans le secteur privé - appelé à Cuba travail à son compte - de nombreux travailleurs diplômés du public ont vu dans la double journée de travail la solution pour augmenter leurs revenus tout en continuant à exercer leur profession. C'est ce nouveau contexte qui a permis à Diana de concilier sa passion pour la science et pour la cuisine. Et même si son travail de scientifique lui prend beaucoup de temps, elle parvient à briller dans les deux domaines. « C'est difficile, et parfois on se laisse entraîner par une activité au détriment de l'autre. Mais on y arrive en essayant d'optimiser le temps au maximum, en étudiant à chaque moment disponible » explique-t-elle.

Diana prépare un plat dans son restaurant Jíbaro

Un endroit nommé Jíbaro…

L'idée de Jíbaro remonte à plusieurs années, quand Diana était doctorante à Milan. Aux côtés de David, elle voulut construire quelque chose qui soit aux deux. Elle, l'ingénieure passionnée de cuisine, et lui, l'économiste amoureux de mixologie, ont vu dans la restauration un point commun qui leur permettrait de travailler ensemble. Au départ, l'idée était de faire un bar à tapas, au 69 rue Merced, dans le quartier San Isidro de la Vieille Havane. Sous l'impulsion de la Galería Taller Gorría, créée par le célèbre acteur cubain Jorge Perugorría en 2016, San Isidro a progressivement changé ; les initiatives lancées par des entrepreneurs du quartier misent sur une transformation en quartier artistique. Expositions, concerts, graffitis d'artistes urbains renommés, comme l'œuvre de Mr. MyI sur la façade du Jíbaro, ont gagné les rues. Situé dans le quartier touristique de la Vieille Havane, Jíbaro est l'une des premières entreprises privées à avoir parié sur une implantation dans cette zone naguère défavorisée.

Diana est revenue d'Italie et a réintégré l'Université de La Havane juste à temps pour l'inauguration de Jíbaro : pendant un peu plus d'un an, David avait pris en charge les travaux qui ont transformé en restaurant un vieux local en mauvais état. Le premier des obstacles pour la création d'une entreprise à Cuba est le financement : de nombreux Cubains se lancent avec le soutien de membres de la famille qui résident à l'étranger ou en investissant les économies de toute une vie. Une fois ce projet concrétisé, le deuxième grand défi pour le secteur privé à Cuba est l'absence de marché de gros pour s'approvisionner. Si l'on ajoute à tout cela les pénuries qui touchent l'ensemble de la population du pays, il faut réfléchir à deux fois avant de se lancer. Cela a été compliqué de concrétiser nos projets « on a travaillé avec notre argent, un petit budget : mais petit à petit, à force de travail, on y est arrivé » se souvient Diana.

Avoir une conscience écologique à La Havane, un défi

Dès la conception de leur projet, il était très clair pour Diana et David que le restaurant devait être responsable du point de vue écologique. Ils ont également voulu que l'architecture joue avec l'esthétique industrielle tout en s'insérant harmonieusement dans le paysage du quartier. Mais il ne s'agissait pas seulement de rechercher la beauté de l'ancien, ils ont également cherché à mettre en valeur les matériaux et à faire vivre des objets inusités. Recyclage, tri des déchets, travail d'éducation auprès des habitants… 

Jíbaro est devenu un véritable projet de quartier. « Jibareando », un projet pour les enfants du quartier, illustre bien cet effort et cette envie de transmettre ce qu'elle a appris à l'université. Le premier samedi du mois, elle montre aux enfants, d'une manière dynamique et ludique, comment protéger l'environnement. Dans la mesure où c'est un pays sous-développé du point de vue économique, Cuba ne dispose pas d'infrastructures favorisant le développement durable. Même si les politiques menées par le gouvernement visent à encourager les pratiques écologiquement responsables et à développer l'utilisation des énergies propres, en l'absence de dispositifs de soutien, la création - et surtout la pérennisation - d'une entreprise eco-friendly reste une gageure à Cuba.

Diana avec les enfants du quartier de San Isidro lors d'une session de Jibareando

L'entrepreneuriat éco-responsable est donc un défi difficile à relever à Cuba et Diana sait qu'elle ne pourra pas tout changer du jour au lendemain ; elle mise sur un changement progressif des mentalités auquel elle contribue dans la mesure de ses moyens. « C'est très difficile » explique-t-elle, « il y a encore beaucoup de choses que l'on jette, comme le plastique, parce qu'on n'a pas le choix ; mais au comptoir par exemple, on a éliminé les pailles plastiques jetables, on les a remplacées par des métalliques. On récupère aussi les canettes et d'autres matériaux recyclables avec l'aide des habitants du pâté de maison » .

Avoir plusieurs emplois à Cuba, « Si je pouvais avoir plus de temps ! »

Depuis qu'en novembre 2016, la plateforme numérique Airbnb a mis les pieds à Cuba, La Havane a consolidé sa place parmi les destinations les plus prisées d'Amérique latine avec des centaines d'« expériences », soit des activités, variées. Il faut dire que la législation cubaine n'offre pas de place à de nombreux artistes et autres travailleurs indépendants, tels des maisons de disques indépendantes ou des acteurs du secteur touristiques. Leur activité n'est pas illégale mais elle n'est pas reconnue officiellement. C'est pourquoi Airbnb a servi à faire connaître leur travail au monde entier tout en le rendant durable. Ainsi, à Jíbaro, Diana a intercalé dans son agenda déjà bien rempli l'expérience Airbnb Colócate tras la barra (Passe de l'autre côté du comptoir), un nouveau sacrifice pour son temps libre qui l'aide à faire connaître son restaurant.

Je suis une personne qui parle beaucoup, j'aime discuter, je me vois comme quelqu'un de très sociable. J'apprends beaucoup des échanges avec des personnes aux cultures et aux vécus différents. Nous avons lancé cette expérience parce que nous voulions partager ce que nous faisions au restaurant, dans une rencontre encadrée, pour, par exemple, faire connaître nos cocktails, conçus par David, à partir d'ingrédients naturels, avec des mélanges très précis

Lorsqu'en 2019, la plateforme numérique Alamesa et l'ambassade du Royaume-Uni à Cuba ont organisé un événement gastronomique pendant la visite du prince et de la princesse de Galles à La Havane, Jíbaro a fait partie des invités. L'occasion pour le restaurant de présenter ses cocktails ; Diana a même expliqué au prince héritier et à son épouse comment faire un mojito.

Le fait que les Cubains aient plusieurs emplois démontre leur capacité d'adaptation : ils savent gérer des situations diverses dans des contextes variés et appliquer leurs connaissances à plusieurs secteurs, ce qui exige beaucoup de créativité de leur part. C'est justement ce que fait Diana : elle tire le meilleur de son expérience dans la restauration et à l'université pour faire en sorte que ses deux activités soient complémentaires.

Diana sert des cockails avec le barman de Jibaro

Diana reconnaît que le restaurant l'a aidé à enrichir ses compétences d'enseignante : la restauration l'aide à exprimer le côté sociable de sa personnalité et une fois en cours, elle envisage la formation de ses étudiants du point de vue disciplinaires mais aussi en prenant en compte leur insertion dans le monde du travail. En cuisine, Diana n'est pas une femme cheffe comme les autres, « Je vois tout comme dans un laboratoire, être précis, s'organiser et prendre en compte tous les paramètres qui peuvent entrer en jeu. L'université m'a donné des habitudes d'étude et cela se reflète au restaurant : ici chaque plat, chaque cocktail, chaque repas thématique fait l'objet d'un protocole d'étude, de vérification » .

Le plus grand défi est celui du temps. « Mon travail à l'université me plaît beaucoup, comme la cuisine » assure-t-elle, « Je me couche parfois à deux heures du matin après avoir préparé les cours ou avoir corrigé les travaux de mes étudiants. Au restaurant, je dois faire face aux problèmes quotidiens qui touchent Cuba comme le manque de produits qui m'oblige à changer incessamment la carte, en fonction de ce qu'il y a au marché et en essayant de faire en sorte que cela corresponde à ce que je veux faire en cuisine… Si je pouvais avoir plus de temps ! » lâche-t-elle, avant d'ajouter « de nombreux amis m'ont dit qu'un jour je devrais me décider pour l'un de mes deux emplois, mais je ne voudrais pas, j'aime les deux choses et je me sens réalisée en faisant les deux » .

Les bons plans de Diana

Diana nous révèle ses adresses préférées de La Havane et au-delà... Un endroit pour manger ? Elle nous encourage d'essayer les salades de Lola Café, dans le quartier de Playa, un petit café qui fait des bons brunchs avec des produits frais, ainsi que des bonnes pâtisseries. Pour boire un verre ? Elle nous dirige vers Más Habana, petit restaurant-bar dans la Vieille Havane. « Commandez le daïquiri », elle nous dit sans hésitation. A faire à La Havane ? « Moi, j'aime bien faire du bar-crawling, c'est-à-dire aller de bar en bar - surtout dans la Vieille Havane - et essayer les différents cockatils ». Vous serez sûrs de découvrir de belles surprises. Pour sortir le soir à La Havane ? L'incontournable Fábrica de Arte pour assister à un concert, « surtout s'il y a du jazz ! ». Et en dehors de La Havane ? Elle nous conseille de voir la vallée de Viñales, qui est « près de La Havane, mais le paysage change complètement ». Un peu plus loin, elle nous recommande de découvrir les cascades du Nicho et de Topes de Collante, aux alentours de Trinidad

traducteur:

F. Buzzy

Cubanía

Cubanía s’efforce de retranscrire, que ce soit par l’image, le son, ou l’écrit, la vie quotidienne de La Havane et de Cuba à un public hétéroclite, curieux, intéressé, souvent non résidents. Toujours en dehors des grands débats politiques, économiques ou des thèmes couramment traités par les médias officiels, Cubanía souhaite au contraire faire témoigner les Cubains de tous les jours, la société dans son organisation actuelle, à travers des lieux, des traditions, des expressions culturelles parfois méconnues.

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